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Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 6.djvu/805

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fait feu sur le public, s’il avait pu pénétrer dans l’enceinte payante.

— Je veux bien, dis-je, croire au danger moral des courses de taureaux, et je ne désire pas les voir s’acclimater en France, bien qu’elles ne me semblent guère plus cruelles que la chasse à courre par exemple, avec ses chiens décousus et son cerf dagué comme le taureau, après une plus pénible agonie. Mais avouez que l’Espagne a, pour ce goût national, quelques circonstances atténuantes. Si elle a conquis de bonne heure cette unité que l’Allemagne réalisa si tardivement, c’est qu’elle a vaincu le Maure et que sa valeur a triomphé des hordes farouches de l’Islam. Victimes du fanatisme religieux des sectateurs du Croissant, et de leurs procédés barbares envers les infidèles, les populations chrétiennes ont dû leur emprunter jusqu’à un certain point leurs propres armes, et développer sur toutes choses le courage personnel en leurs enfans. Pourquoi s’étonner que les générations actuelles gardent encore l’empreinte de cette rude éducation morale ? On assure qu’elle n’éteint pas les sentimens humains, et les journaux annonçant récemment la mort de Lagartijo, la grande espada de la fin du XIXe siècle, célébraient à l’envi la bienfaisance presque excessive qui lui avait valu ce surnom, plus glorieux que son sobriquet de plaza : « la Providence de Cordoue. » Le cœur de celui-là ne s’était donc pas endurci par l’exercice de sa périlleuse profession. Enfin, je vous demande pardon de ma franchise, mais, ayant longtemps parcouru pour mes études les colonnes de vos journaux socialistes, j’y ai lu qu’en Prusse, la brutalité des maîtres d’école, des geôliers, des sous-officiers, s’y exerce volontiers sur les humains, parfois jusqu’à causer la mort, s’il faut en croire les adversaires de l’ordre de choses actuel. Un peu d’indulgence siérait aux compatriotes de ces brutaux personnages.

— Vous touchez ici à la question délicate des deux Allemagnes[1], me répondit mon ami. L’Allemagne de l’Est, aryenne et dolichocéphale au dire des anthropologues, et par là tranchante, brutale, aristocratique et guerrière, n’a pas grand’chose de commun avec l’Allemagne du Sud, celtique, brachycéphale, et, en conséquence, rêveuse, sentimentale et fort propre à préparer des recrues au bouddhisme européen. M. Weltrich appartient

  1. Voyez à ce sujet notre étude dans le Journal des Débats, 21 avril 1901.