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chaque jour de la semaine apparaît à son rang suivi de l’exclamation : « Entsetzlich ! Epouvantable ! » et d’une maxime de morne lassitude.


Nous sommes au lundi seulement. Épouvantable ! Recommencer sans joie la semaine à peine achevée. Mardi, seulement ! Épouvantable ! Filer sans but le tissu grisâtre de la vie…


Puis, viennent les Pensées du Vendredi saint, où le Destin s’incarne dans un taureau fonçant brutalement sur le manteau de pourpre qui fut accordé pour leur perte aux âmes privilégiées ; tandis qu’une émouvante évocation de la Nuit la présente sous les traits d’un spectre amaigri, qui ne se montre que pour interdire le sommeil. Seules les Fleurs près du lit d’un malade viennent offrir à leur ami le doux reflet de leur grâce ingénue, au terme de cette lugubre série d’amertumes.

C’est à cette disposition d’esprit foncièrement mélancolique qu’il faut rattacher aussi l’un des thèmes favoris du poète : celui des présages de la Mort, dont il s’est plus d’une fois heureusement inspiré. Tantôt il marche par la forêt d’automne[1], « cheminant anxieux parmi les feuilles tombantes, afin d’accoutumer son âme pusillanime à ce doux trépas sans angoisse ; » à l’exemple de ce penseur contemporain qui disait à l’un de ses disciples, lors de ses derniers jours[2] : « Je tâche d’apprendre de ces arbres le secret de mourir ; mais que c’est difficile ! » Tantôt il chante, comme sur un air mélancolique accompagné d’accords en sourdine, les Messagers discrets[3] :


Dis-moi, père, que sont ces noirs monticules sur les couches du jardin ? — Je les vois à regret, mon enfant, ce sont des taupinières, prophétesses de la tombe. N’ont-elles pas l’aspect des fraîches sépultures ? Jamais, depuis que je possède ce jardin, sinon l’année où je perdis mon père, je ne l’ai vu si rempli de ces noires collines.

Vois, père, ce papillon aux ailes noires bordées de blanc, qui volette auprès de nos légumes. — C’est le « Mantelet de deuil », prophète lui aussi ! Ah ! mes yeux ne l’ont jamais oublié ; quand on emporta les restes de ton jeune frère, son cortège funèbre et la civière posée devant la chambre mortuaire furent visitées par ce messager ailé.

Vois, père, cette fleur sur la haie ; pousse-t-elle depuis longtemps dans notre enclos ? — Fleur des morts, voici que tu te montres à ton tour. Morts

  1. I, 31.
  2. Taine à M. Paul Bourget.
  3. II, 18.