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Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 6.djvu/841

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les exportations de combustibles et obligea l’industrie allemande à se procurer 1 230 000 tonnes au dehors, après le rapide épuisement des faibles stocks de l’Empire.

Ces résultats inquiétèrent à tel point le gouvernement que, par une décision à la fois très grave et très hardie, il chercha à ramener la production à ses conditions normales en concédant aux ouvriers, ou plutôt à une partie d’entre eux, l’une de leurs principales revendications, à savoir la journée de huit heures, — huit heures au trait s’entend, c’est-à-dire huit heures de travail effectif. Il le fît, non pas en tant que législateur et puissance publique, par une mesure générale et difficilement révocable, mais à titre expérimental et précaire, agissant comme patron dans les mines dont la couronne est restée propriétaire. L’expérience fut lamentable : la production par homme diminua dans de fortes proportions ; on essaya de parer au déficit en augmentant de 11 pour 100 le personnel des mineurs ; la production ne se releva que de 6 1/2 pour 100 environ ; elle ne suffisait plus à la consommation ; les industries dont le sort dépend de l’extraction de la houille, la métallurgie et la construction mécanique notamment, restaient en souffrance ; on ne pouvait assurer, en vue de la mobilisation, ni les approvisionnemens de charbon, ni les réserves de matériel roulant ; la défense nationale se voyait aussi compromise que la vie économique du pays, et M. de Bismarck, dont les dissentimens avec son souverain commençaient à n’être plus un secret, attribuait couramment cet état de choses aux folles complaisances de l’Empereur pour ses ouvriers.

Convenait-il de faire le jeu de l’Allemagne et de l’aider à se tirer de ce gros embarras ? La chose ne souriait à personne ; même au sein de la Triple Alliance, on jugeait excessives les prétentions de Guillaume II. Ailleurs, c’était pis ou mieux, suivant le point de vue. La Grande-Bretagne, toujours très empirique dans ses conceptions législatives, est du moins très intransigeante sur son indépendance, et ne se soucie pas que des tiers aient un droit de regard indiscret dans ses affaires intérieures. En France, c’était alors un axiome à peu près indiscuté que la puissance publique doit abandonner au libre jeu des contrats privés tout ce qui concerne le travail des adultes, et que la protection de la loi s’arrête dès que les êtres humains atteignent leur majorité ; sans doute, l’esprit public commençait à admettre quelques exceptions en ce qui concerne la femme,