ne se prépare ni ne s’annonce ; elle ne se fait pas : elle est tout de suite, et tout de suite elle est admirable. Parfaitement dégagée de l’ancien récitatif, elle n’est pas engagée encore dans la mélopée ou dans la symphonie future. Définie et autonome, elle se détache sans peine. Pour exécuter un fragment isolé de Mozart, on sait très bien où le prendre et par où commencer ; un fragment de Wagner embarrasse davantage et nous oblige parfois à l’aborder gauchement et comme de côté.
L’opéra de Mozart est plein de ces débuts ravissans. Je sais dans Idoménée un air d’Ilia, où le premier mot (Zefiretti) n’est pas encore achevé, que déjà nous devinons et croyons goûter d’avance le charme de toute la mélodie future. Cette anticipation est surtout sensible dans les airs, — assez nombreux chez Mozart, — dont le thème initial est constitué par les notes de l’accord parfait, quel que soit d’ailleurs le sentiment ou l’éthos de la mélodie : qu’elle exprime la fureur vengeresse, comme l’air de doña Anna : Or sai chi l’onore, ou l’amoureux désir, comme l’air de Suzanne sous les marronniers. Partout ainsi, dans le : Voi che sapete de Chérubin aussi bien que dans la sérénade de don Juan, partout le génie mélodique de Mozart se découvre et se livre dès la première mesure ; celle-ci forme en quelque sorte une courbe où la figure sonore s’inscrit tout entière, avant d’en sortir et de se développer.
Le développement, comme l’inscription, est admirable, et jamais la mélodie de Mozart ne donne moins qu’elle n’a promis. « Un autre charme de la musique de Mozart, écrivait Gounod dans son étude sur Don Juan, c’est l’étroite parenté qui relie entre eux les divers membres de la période musicale et lui donne ce caractère logique dont il a, plus que personne, le privilège et le secret. » La mélodie initiale une fois exposée, d’autres lui succèdent et s’en déduisent ainsi que les conséquences des prémisses, ou les corollaires délicieux d’un axiome de beauté. Je me trompe : ce ne sont pas d’autres mélodies, c’est la même, dont le progrès se poursuit et se consomme sous des formes analogues et, comme disait Gounod, parentes ; parentes de la forme première et parentes entre elles par les rythmes, les valeurs et les tonalités. Elles dérivent et procèdent toutes de la mélodie mère, mais, participant de sa nature ou de sa substance, elles se distinguent d’elle par leur personne. Il ne faut pas confondre avec la variation, beaucoup plus extérieure et superficielle,