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ce qu’il y a d’unique en son génie, c’est précisément de l’avoir résolue.

Chef-d’œuvre de forme toujours, la mélodie de Mozart est toujours un chef-d’œuvre d’expression. Lisez dans Idoménée (n° 11 de la partition Peters) la plainte encore douloureuse et déjà consolée d’Ilia, cette sœur plus jeune et moins farouche de doña Anna :


Se il padre perdei,
La patria, il riposo,
Tu padre mi sei


Cela serait sublime, déclamé pai Gluck ; chanté par Mozart, c’est ravissant. Le contour de la mélodie est défini, mais le sentiment, la douceur en est sans bornes.

On pourrait écrire un traité de psychologie musicale à pro- pos de Don Juan et des Noces de Figaro. Le grand finale des Noces commence par un trio entre Suzanne, la comtesse et le comte, qui croit Chérubin caché dans le cabinet. « Allons, la clef, Quà la chiave ! » commande-t-il, et sous ces mots il n’y a que trois notes, mais si belles et si vraies tout ensemble, qu’elles chantent et parlent à la fois. Elles sont tellement de la musique, qu’elles donnent pour ainsi dire le branle au finale, œuvre de musique pure ; mais en même temps, c’est la scène de théâtre qu’elles mettent en train, parce qu’elles sont action aussi.

L’esprit, en musique, est surtout mélodie ; la succession, plutôt que la combinaison des notes, est la source principale du comique sonore, et, parce qu’il n’y a pas de plus grand mélodiste, il n’y a pas de musicien plus spirituel que Mozart. Je n’en connais pas non plus de plus tendre, et ses mélodies fondent le cœur. On ose à peine parler encore du : Voi che sapete, de ce chant où semblent se concilier, dans un sourire proche des larmes, toute la joie et toute la mélancolie de l’âme et du visage humain. Que de mélodies, en cette partition des Noces, tantôt palpitent et tantôt languissent d’amour ! Ce sont les deux airs de la Comtesse, dont le contour, et je dirais volontiers l’ovale, a tant de plénitude et de pureté. C’est le duo de Suzanne et du Comte, qu’il suffit de comparer avec un autre, d’un maître et d’une soubrette aussi (dans la Servante maîtresse), pour sentir tout ce que, de Pergolèse à Mozart, la mélodie a gagné en souplesse et comme en modelé. Je ne songe pas seulement à la partie concertante du duo, mais