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fût. Ses geôliers, plus tard, devaient l’adorer. Que le ciel bénisse cette douce figure ! s’écriait le peuple d’Edimbourg en la voyant passer, vêtue de ces robes à traîne qui lui valaient les pieuses dénonciations de Knox...

Son cœur était rempli de tendresse et de reconnaissance. En septembre 1561, après l’échec du complot Ridolfi, elle souffrit moins pour elle-même que pour ses deux serviteurs, Archibald Beaton et Willie Douglas, qui se trouvaient envoyés en Écosse, c’est-à-dire à la mort. Elle écrivait dans une lettre, à propos d’une affaire d’argent : « J’aime mieux payer deux fois que de faire à quelqu’un l’injure de le soupçonner. »

Cette femme, sensible, fière, passionnée, intrépide, et bonne, était chaque jour diffamée par l’implacable Knox. Ses prêtres étaient mis au pilori, sa foi sans cesse outragée, sa personne accablée d’insultes ; et tous ses plans étaient contrecarrés par Elisabeth. Marie avait bien des motifs de pleurer, même avant que son dévoué serviteur Rizzio fût tué, presque sous ses yeux, par son stupide mari et ses cruels lords. Peut-être, devant cet excès de souffrance, son cœur finit-il par s’endurcir ; peut-être fut-elle touchée du mauvais esprit de la haine et de la vengeance. Mais son cœur, par nature, était tendre et plein de pitié. Au milieu de ses plus affreuses douleurs, elle s’émouvait de la peine des esclaves ramant sur les galères. Elle écrivait au laird d’Abercairnie pour le prier d’avoir compassion « d’une pauvre femme et de ses petits, » dont il avait confisqué la maison.

Malheureusement, avec un courage tout viril, elle était incapable de ruse : et, au temps où elle vivait, la ruse était la seule arme d’une femme. Sa nature était si droite et si peu soupçonneuse que, sur la foi d’une bague et d’une promesse, elle se confia à Elisabeth, sa mortelle rivale. Elle ne savait point dissimuler, et ne parvenait pas à comprendre que les autres le sussent.


Et, avec son courage et sa fierté, c’était essentiellement une femme. Elle avait besoin d’un maître, d’un homme qui la dirigeât, qui la dominât, et qu’elle pût servir. A peine s’était-elle fiancée à Darnley, qu’elle l’avait « comblé de tous les honneurs qu’une femme puisse rendre à son mari. » Plus tard, quand elle se considérait comme fiancée à Norfolk, aussitôt elle adoptait vis-à-ns de lui, dans ses lettres, le ton d’une soumission obéissante et passive. Et ses ennemis savaient cela : il n’y a rien dont ils aient davantage profité contre elle.

Elle eut d’abord pour maitre, en Écosse, son frère Murray, « pensionné par Elisabeth. » Le malheureux Darnley, qu’on lui donna ensuite pour mari, était lui-même trop nul pour diriger personne. Marie trouva alors un conseiller dans l’Italien Rizzio, dont rien au monde ne prouve qu’il ait été son amant. Il lui était dévoué, seul parmi des êtres abominables qui ne pensaient qu’à abuser d’elle. Mais Darnley, avec l’aide de Morton et sur le conseil de Murray, fit assassiner Rizzio « presque sous ses yeux. » Que le cœur de la pauvre femme ait été, après cela, « touché du mauvais esprit de la haine et de la vengeance, »