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l’Oussouri ; si, au contraire, on pariait pour la paix, on pouvait fondre les deux buts poursuivis et gagner un port libre en coupant au plus court à travers une riche contrée. Le gouvernement russe dut parier pour la paix, car il traversa la Mandchourie.

Dans l’hypothèse pacifique, l’avantage du nouveau tracé était indéniable, car si une première voie ferrée eût côtoyé l’Amour, il n’en eût pas moins été nécessaire de lancer tôt ou tard un embranchement à travers la Mandchourie. De plus, au lieu d’un seul port libre de glaces ou à peu près, on en atteignait trois ou quatre.

Cependant, le choix du tracé mandchourien n’allait pas sans quelques conséquences curieuses.

D’abord, si ce tracé avait une évidente signification pacifique, il exigeait, en revanche, que la Russie prit une altitude tant soit peu belliqueuse. Il fallait en effet des troupes pour garder la voie ferrée et guerroyer contre les brigands.

Il semble, à ce propos, que la question de l’évacuation de la Mandchourie par les Russes, qui fut tranchée par le traité du mois d’avril l902, ait été mal comprise en France. On paraît croire que les Russes vont retirer purement et simplement leurs soldats. Il n’en est rien, et, si cela était, les Russes seraient bien coupables vis-à-vis de leurs nationaux établis là-bas, et même vis à-vis de la civilisation européenne dont ils laisseraient la cause sans défense. En réalité, l’évacuation ne doit porter que sur les villes mandchoues occupées par les troupes russes à la suite de la révolte de 1900, et sur des voies ferrées indépendantes du Transmandchourien proprement dit. Désormais, sans doute, les uniformes russes disparaîtront petit à petit de New Chwang, de Moukden, de Guirine, de Ningouta, de Tsitsikar, etc, mais le chemin de fer n’en sera pas moins protégé légalement par les troupes russes prévues par le traité du 8 septembre 1896, et peut-être illégalement, par des renforts qu’on leur laissera sous des étiquettes variées. A Tsitsikar-ville ou à Moukden-ville, on est en Chine ; mais à Tsitsikar-gare et à Moukden gare, on est sur le territoire cédé à bail à la pseudo-compagnie du chemin de fer-Est-Chinois.

Une autre conséquence du passage à travers la Mandchourie est la nécessité d’occuper le pays. L’occupation russe peut, ce semble, être caractérisée comme suit : les Russes se mettent en mesure de profiter, de concert avec les indigènes entreprenans.