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d’inspecteurs, de sous-inspecteurs, de chefs, de sous-chefs, de divisionnaires et de sous-divisionnaires, tous appointés, chauffés, rentes, retraités sur le Budget ! Hélas ! C’est aussi de là, c’est de ces bureaux sans nombre, sous les fenêtres desquels se promènent des factionnaires, que partent par milliers, et dizaines de milliers, les On s’crève, les Y a que des gueulards, les A nous Les femmes, les Sale rosse, les Dimanches de Becarsort, les Si j’étais moineau, les On en a pour son pognon !... .


XV

Le café-concert n’a-t-il donc pas vraiment fini par prendre toute l’importance d’un fait social ? Représentez-vous ces centaines de salles petites ou vastes, où s’entassent, devant des spectacles détraquans, tous ces gens qui boivent et qui fument, tous ces milliers de faces expectantes, noyées à la fois d’alcool, d’ahurissement, de luxure et de nicotine ! Un certain tic dans la figure du chanteur, un certain accent de vice criard ou sournois dans le débit de la chanteuse, une certaine façon niaise de remuer les bras, d’ânonner, de lâcher le mot honteux, de mâcher le mot sale, et voilà ces foules qui délirent ! N’est-ce pas exactement le point malade sur lequel on met le doigt pour déchaîner les nerfs, l’hystérie qu’on déclanche par un reflet de cuvette de montre ou de l’âme de couteau ? Et qui va s’échauffer, s’abrutir à ces spectacles ? Tout le monde ! Le travailleur et le rentier, le peuple et l’aristocratie, les hommes, les femmes, les enfans ! Et qui est là pour y présider ? Un agent de police, un représentant du Gouvernement ! Ne semble-t-il pas quelquefois que nous soyons destinés à en arriver peu à peu à une société neurasthénique, à une humanité stupéfiée, où le dernier mot de la mode et du plaisir sera d’entendre glapir des syllabes ivres ou ignobles dans des contorsions d’aliénés ?


MAURICE TALMEYR.