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sion des armées permanentes et la constitution de milices communales. Lorsque nous en serons là, il restera sans doute un grand pays géographique entre des frontières qui seront peut-être encore réduites, et ce pays continuera de s’appeler la France, mais ce ne sera plus la France que le monde a connue et respectée, la France de notre merveilleuse histoire, celle qu’on a appelée la plus grande personne morale qui soit au monde, que nous aimons passionnément dans le passé, et dans laquelle nous avons mis toute notre espérance pour l’avenir. Cette France aura vécu. Elle sera remplacée par la France des socialistes, où les intérêts matériels seront tout, jusqu’au jour inévitable où quelque voisin énergique et rapace lui fera payer cher son abdication de grande puissance.

Nous avons dit par quels moyens on pouvait échapper à ces conséquences d’une loi mal faite : mais il y a quelque chose qu’aucun moyen artificiel, aucune combinaison de texte ne peut donner, c’est le sentiment du devoir militaire envers son pays. Ce sentiment s’atténue, diminue chez nous, tandis que nous le voyons toujours ardent, fort et dominant impérieusement tous les autres chez des nations voisines. La comparaison nous afflige et nous alarme. On a encouragé sur le terrain électoral un relâchement auquel nous n’étions déjà que trop portés, et on a annoncé le service de deux ans comme un grand allégement du fardeau militaire. M. le ministre de la Guerre vient dire aujourd’hui en toute franchise que ce fardeau sera aggravé. Il le sera en effet terriblement. Le pays acceptera-t-il la déception qu’on lui prépare ? L’armée supportera-t-elle sans faiblir l’épreuve qu’on lui impose ? Le gouvernement, qui a si peu d’autorité aujourd’hui, en aura-t-il assez demain pour maintenir intégralement la suppression des dispenses qui est la clé de voûte de la loi ? Comment échapper à l’anxiété que ces questions provoquent en face d’une expérience que M. Waldeck-Rousseau qualifiait si bien d’aventure, mais à laquelle il nous a conduits, et dont ses successeurs, plus hardis que lui, font leur affaire avec une si merveilleuse tranquillité d’esprit ?

Francis Charmes.
Le Directeur-Gérant,
F. Brunetière.