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voir aussi, eux et leur synagogue. Il y en a même déjà quelques-uns de postés là-bas, à l’entrée de leur rue, pour regarder si je viendrai, tandis qu’au-dessus de moi, aux fenêtres, derrière des loques de rideaux à demi soulevés, j’aperçois des figures de juives blanches, jolies, bien qu’un peu trop émaciées, qui observent curieusement quelle direction je vais prendre.

Allons donc chez les pauvres « juifs noirs, » qui se prétendent arrivés de Judée quelques siècles avant les blancs, mais que les blancs affirment avec dédain n’être que d’anciens parias, convertis par leurs prédications.

Un peu plus basanés que leurs voisins, ceux-ci, il est vrai, mais pas « noirs, » tant s’en faut, et paraissant être en réalité des métis d’Indiens et d’Israélites. Ils s’empressent à me recevoir. Leur synagogue ressemble beaucoup à sa rivale, moins riche toutefois, sans la belle colonnade de cuivre, et, surtout, sans le merveilleux pavage en porcelaine de Chine. On y célèbre, à cette heure, un office pour des enfans, qui sont là tous, le nez plongé dans leurs livres, à se dandiner sur place comme des ours, — ce qui est la manière du rite mosaïque. Le rabbin me fait d’amères doléances sur la fierté des rivaux de la rue proche, qui ne veulent jamais consentir à contracter mariage, ni même à frayer avec ses paroissiens. Et pour comble, me dit-il, le grand rabbin de Jérusalem, à qui on avait adressé une plainte collective, le priant d’intervenir, s’est contenté d’émettre, en réponse, cette généralité plutôt offensante : « Pour nicher ensemble, il faut être des moineaux de même plumage. »

Ce temple à la coupole de cuivre, aux murs de granit, aux toits de chaume, aperçu d’abord du haut de la synagogue, est l’un des plus primitifs et des plus farouches de toute cette côte ; d’ailleurs si impénétrable, il va sans dire, que l’on ose à peine m’en laisser approcher. Dans la cour accablée de soleil, vide, lugubre, entre les granits ardens, se dressent d’étranges objets de fer et de bronze, espèces de torchères à branches multiples, rongées par l’oxyde, depuis des siècles, sous le ruissellement des orages.

Tout à côté, communiquant avec le temple par des galeries, est un ancien palais des rajahs de Cochin, abandonné depuis des temps pour les résidences nouvelles d’Ernaculum, sur l’autre rive. On dirait quelque vieille forteresse lourde et carrée ; il est impossible de lui assigner un âge bien précis, en cette région où