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jeune encore quand Valory, qui le connaissait bien, lui reprochait de manquer de « conséquence ; » mais, longtemps après, pendant la guerre de Sept ans, son frère Henri lui reproche encore son caractère « incertain et contradictoire ; » et le brave Eichel se plaint, lui aussi, que « les décisions changent du jour au lendemain. » Pour bien saisir cette extrême mobilité de conception, il faut suivre le roi dans sa Correspondance au printemps de 1742, lorsque, las de la guerre, il veut traiter avec Marie-Thérèse pour se faire céder la Silésie. En deux mois de temps, il change de vues cinq ou six fois, rejetant ou reprenant ses idées de négociations du jour au lendemain, sur une fausse nouvelle ou sous l’impression vague qu’il se fait des sentimens de l’Europe à son égard. Puis, un jour, sans raison, saisi tout à coup du désir d’en finir, il donne ordre à Podewils de signer sur-le-champ les préliminaires : « Il s’agit de terminer en douze heures. La Silésie (Basse-Silésie) plus Glatz, sine qua non. Et pour le reste, tout ce que vous pourrez leur extorquer. » Comme un spéculateur qui manque une partie de son gain pour réaliser à tout prix l’opération, il va perdre ainsi toute une province, la Haute-Silésie, et, s’il ne la perd pas, c’est grâce au vieux Podewils, qui paie d’audace et « extorque » en effet le morceau à l’Autriche. Voici donc les préliminaires signés ; mais Frédéric, qui tout à l’heure voulait la paix avec moins que son bénéfice, n’en veut plus aujourd’hui avec plus que son bénéfice : Frédéric couvre son ministre de reproches, et, pendant plus de huit jours, il est prêt à repartir en guerre !

Il finit par garder la paix, et avec la paix la Silésie ; mais c’en est assez pour mesurer l’excès de cette imagination « qui lui est si commode, disait en riant Mitchell, pour atténuer dans son esprit tous les obstacles ou les lui faire négliger. » Non pas qu’il ferme jamais les yeux sur la difficulté, il la voit très nette, mais il se fie à son audace et à son adresse pour la trancher. Je sais bien que cet optimisme est un élément essentiel de sa force d’action, et que, si son énergie résiste à l’épreuve de sept années de guerre malheureuse, c’est que, sept années durant, il garde la foi dans la paix prochaine, — cette paix qui le fuit « comme Daphné devant Apollon. » Mais souvent aussi l’illusion est trop forte, elle le fait souffrir après coup. Trois mois après la terrible défaite de Cunersdorf en d759, ne veut-il pas demander à l’Angleterre, son alliée, de lui promettre « de l’onguent