Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 10.djvu/429

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

moi, peut-être que cela vous engagera mieux, en ménageant votre santé, vous ménagerez la mienne. Allez-vous récréer à la campagne et ne faites pas l’imbécile à pleurer... » Ici, Poupon s’arrête, il comprend qu’il passe la mesure et s’excuse : « J’espère bien que vous me pardonnerez ce mot qui est un peu trop libre pour un neveu, mais ce que je vous demande en grâce, c’est de ne pas vous abandonner au chagrin. Certes, nous avons eu de la peine en nous séparant, mais nous n’en aurons que plus de joie à nous revoir ; pensez à cela, dites-vous que je vous aime et ayez, je vous en prie, le cœur un peu plus mâle.

« Prenez une servante de plus et choisissez une bonne compagne, ne regardez pas trop si elle est extrêmement dévote et retirée, car celles-là sont quelquefois plus diables que les autres ; pourvu qu’elle ne soit pas libertine, c’est l’essentiel ; d’ailleurs Dieu connaît assez vos sentimens et votre délicatesse là-dessus. En faisant ce qu’on peut, on n’est pas tenu au reste, et puis tant pis pour elle après tout.

« Je vais vous rapporter les nouvelles les plus intéressantes pour vous distraire. Le roy vient de casser un arrêt du Parlement qui condamnait injustement trois hommes à la roue, on ne sait pas encore l’effet que cet acte d’autorité va produire. J’ai lu le mémoire justificatif qui a été fait à ce propos, il est de la dernière beauté, l’auteur se nomme M. Dupaty.

« Récemment, en Lorraine, un officier qui voyageait avec son domestique a fait la découverte d’une auberge où l’on empoisonnait les étrangers. Voici l’histoire : la servante de l’auberge s’était, croit-on, amourachée du cavalier à première vue ; lorsqu’elle lui apporta son souper, elle se prit à pleurer abondamment. L’officier surpris de ce chagrin subit la pressa de questions, si bien que la fille lui confia que les mets étaient empoisonnés. L’aubergiste, voyant que le repas lui revenait intact, monta pour proposer d’autres plats à son hôte, mais celui-ci déclara qu’il n’avait pas faim.

« L’aubergiste était à peine redescendu que l’officier vit arriver son domestique pâle comme un linge. Il raconta à son maître qu’il venait de l’écurie où les chevaux faisaient un bruit infernal en donnant dans le sol de furieux coups de sabots, il s’était approché d’eux et, à sa grande horreur, avait vu que les chevaux déterraient des cadavres !...

« Le maître engagea son domestique à reprendre du sang-froid