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REVUE LITTÉRAIRE



POÈTES D’AUJOURD’HUI



Les poètes ont fait chez nous pendant quelques années autant de bruit que les gens de théâtre. Ils s’étaient rendus insupportables. Ce fut une crise pendant laquelle ils prétendirent s’imposer à l’attention par la force de la réclame et par la vertu de l’excentricité. Ils avaient soif de notoriété vulgaire et, paitint, ils s’exhibaient comme des phénomènes. Aussi la critique était-elle un peu embarrassée pour parler d’eux, et, se conformant d’ailleurs à leur secret désir, elle les abandonnait aux chroniqueurs. Ce temps est bien passé. Nous avons aujourd’hui des personnages beaucoup plus encombrans que les faiseurs de vers. Ceux-ci ont renoncé à la place publique et aux tréteaux ; ils sont rentrés dans la pénombre amie du rêve et dans le silence, où s’entend mieux le rythme des syllabes mesurées. Aussi est-ce pour nous un devoir autant qu’un plaisir d’aller les chercher dans leur retraite, et il nous serait bien impossible de parler d’eux sans beaucoup de sympathie. Car leur labeur, est tout à la fois désintéressé et utile. On dit souvent que notre époque n’est guère propice à la poésie, et que plus nous irons moins celle-ci aura de place dans les sociétés futures. Cette opinion est des plus contestables. Mais supposez qu’elle soit justifiée, ce serait donc que les sociétés de l’avenir se passeront de toute espèce de littérature. La poésie, par laquelle on voit partout commencer les littératures, est en effet la forme essentielle de l’art d’écrire, et une littérature qui l’aurait laissée se perdre, serait elle-même bien près de sa fin. Ajoutez que l’unique raison d’êti’e d’une pièce de vers réside