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commencent à le révolter. Il n’y a pas jusqu’aux prêtres catholiques anglais, ses nouveaux collègues, qui ne lui paraissent froids, secs, hypocrites, d’un orgueil et d’un égoïsme insupportables. Aussi ne tarit-il pas en invectives contre l’Angleterre. Intelligent et laborieux ; il s’est vite débarrassé de son pédantisme d’école ; il se met au courant de son temps, étudie assidûment les discours des prédicateurs en renom, et finit lui-même par devenir un des prédicateurs les plus écoutés. Mais son thème principal est toujours la supériorité de l’esprit irlandais sur l’esprit anglais. Jusque chez les convertis les plus fervens, il flaire toujours un reste d’anglicanisme ; il dénonce leur goût du libre examen, leur manque de douceur et d’humilité. « Ah ! semble-t-il leur dire, comme on voit que vous êtes nés d’une race grossière, et combien notre Ile des Saints est au-dessus de votre île de bouchers et de boutiquiers I » De telle sorte qu’un jour l’évêque de Londres, autant dans son intérêt même que dans celui de la communauté, décide de le faire partir de Londres, et l’envoie dans une ville de province anglaise, en qualité de vicaire.

Le jeune homme, qui croyait détester Londres, est d’abord désolé d’avoir à s’en éloigner. Son déplacement lui apparaît comme une disgrâce, et qu’il n’hésite pas à mettre sur le compte de la jalousie des prêtres anglais. Mais bientôt il s’aperçoit que sa situation, dans la ville où on l’a relégué, se trouve être infiniment plus agréable qu’il ne s’y était attendu. A ses sermons se presse un auditoire élégant et raffiné, formé d’ailleurs en majorité de protestans : et Luc n’en est que plus zélé à les émouvoir. Un écrivain célèbre, nouvellement converti, daigne le choisir pour son directeur de conscience. Et chaque soir on lui fait fête dans des salons où des dames protestantes, mais ayant toujours eu beaucoup de sympathie pour la beauté esthétique du catholicisme, lui révèlent la beauté, plus esthétique encore, des poèmes de Heine et de Rossetti. Dans ce milieu, les préventions de Luc Delmege contre l’esprit anglais se changent vite en un profond mépris pour la rudesse barbare des mœurs irlandaises. Quand il revient dans son village, quatre ans après son ordination, pour assister au mariage de l’une de ses sœurs, tout le choque et le dégoûte, l’ignorance du clergé, l’ivrognerie des paysans, les vieilles coutumes et les vieux sentimens. Il a hâte de rentrer « chez lui ; » et son chez lui c’est désormais la ville anglaise où on l’attend pour discuter Platon, Carlyle, et Ruskin.

Il ne pense plus à lutter contre l’esprit anglais. Au contraire, son rêve favori est de prouver aux protestans eux-mêmes que le catholicisme,