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Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 10.djvu/473

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prêtres qui ignoraient tout des idées modernes ; ils n’avaient rien lu depuis le séminaire, ils ne savaient ni discuter, ni même prêcher avec quelque agrément ; et cependant leur exemple suffisait à épanouir dans les âmes une merveilleuse floraison de piété et de charité. Un de ces prêtres s’habille comme un mendiant ; il est si ignorant et de si peu de mine que ses chefs ne parlent de lui qu’avec une pitié dédaigneuse : et Luc est témoin de conversions sans nombre qui se produisent au contact de ce « pauvre de Dieu. » Une jeune fille riche et noble, désirant racheter les fautes de son frère, s’est enfuie de la maison paternelle, et, pendant dix ans, sous la robe noire d’une pénitente, a vécu en compagnie de voleuses et de prostituées : et sa naïve bonté a été si féconde en miracles que ses compagnes ont fini par la prendre pour un être surnaturel, envoyé d’en haut pour les consoler. Voilà ce que se rappelle Luc Delmege, quand il réfléchit à la mission du prêtre : et il comprend alors pourquoi toute sa vie passée n’a profité vraiment ni à lui ni à personne. Il a prêché de savans sermons, écrit dans les revues des articles retentissans : tout cela n’a servi, en Angleterre, qu’à détourner de la foi catholique plusieurs convertis ; en Irlande, qu’à irriter ses paroissiens, à les troubler, à leur ôter la confiance familière qu’ils avaient en lui. Avec toute sa renommée, qui va sans cesse s’étendant, Luc s’aperçoit qu’il a toujours été inutile, et parfois nuisible, tandis qu’autour de lui d’obscurs collègues, par la seule influence de leur piété, récoltaient pour leur divin maître d’abondantes moissons.


Le rôle du prêtre doit être surtout de donner l’exemple de la vie chrétienne. Et précisément, une occasion s’offre bientôt à Luc Delmege de donner un tel exemple, en montrant au peuple irlandais la nécessité qu’il y a pour lui à rester courageux et ferme, sous l’injustice de ses persécuteurs. Faute de pouvoir payer un impôt dont on lui réclame brusquement d’énormes arriérés, le père du jeune prêtre va se voir chassé de sa maison avec tous les siens. Tout le village est là, rempli de pitié et d’indignation ; mais personne n’ose protester, et les agens de la police anglaise procèdent à leur besogne dans un silence de mort.


La froide et tranquille destruction du petit ménage, l’enlèvement des meubles, pièce à pièce, l’indifférence avec laquelle les bailiffs lançaient au dehors tant d’objets consacrés par le souvenir des générations, et les brisaient, et les mutilaient, tout cela était un spectacle déchirant pour cette