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Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 10.djvu/503

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tout le monde est content, bien que personne n’en soit fier, » disait, avant d’en connaître les articles, l’auteur des Lettres de Junius. C’est une paix, pouvait-on dire, le lendemain, dont tout le monde est honteux et dont personne ne voudrait plus. Quoi ! la France gardait l’Escaut, Anvers, ces Pays-Bas pour lesquels on s’était battu cent ans autrefois ; pour lesquels, au temps de Louis XIV, « il passait tout d’un trait, aux Communes, que les Anglais vendraient jusqu’à leurs chemises ; » pour lesquels on avait dicté au Grand Roi le traité d’Utrecht et le traité des barrières, recommencé la lutte en 1740, en 1755 ! puis, au-delà de ces Flandres, contestées avec tant d’acharnement, la gardienne postée par l’Angleterre, la Hollande, passant au service français, retournant les barrières contre les Anglais, et Flessingue et Amsterdam ! et toute la rive gauche du Rhin aux Français, le Piémont, la Cisalpine, la Ligurie ! Et l’Angleterre restituait ses conquêtes, les Antilles, les comptoirs de l’Inde ; elle ne gardait que Ceylan et la Trinité, des dépouilles de vassaux, de Hollandais et d’Espagnols ! aucune dépouille opime, aucun lambeau de France !

Enfin, et c’était le comble, pas un article sur le commerce, de sorte que tout l’intérêt de la paix, l’envahissement du marché continental, s’évanouissait. Bonaparte demeurait maître souverain du régime des douanes et des entrepôts sur cette immense étendue de côtes, et, ce régime, il l’imposerait aux alliés de la République ; il prohiberait les produits anglais ; il rétablirait, grâce à cette prohibition, et la marine et l’industrie françaises. Au lieu des immenses débouchés qu’elle attendait, l’Angleterre verrait le continent fermé ; une lutte de tarifs plus ruineuse que la guerre, et cette perte sèche, la suppression de la contrebande de l’Amérique espagnole !

Les gens d’affaires et c’était tout le monde dans la Cité, se déclarèrent trahis, pire encore, frustrés de tous les bénéfices qu’ils escomptaient déjà. Dans cette nation laborieuse et orgueilleuse, où le patriotisme et le négoce se confondent, le patriotisme, par jalousie et avidité, redevint belliqueux. Il s’éleva des clubs, des gazettes, des libelles, un cri de déception furieux, une immense réclamation contre le gouvernement. Ceux mêmes qui avaient le plus fermement soutenu le ministère refusèrent de croire à tant d’effacement, à tant d’abnégation de la part des successeurs de Pitt. Les ministres tombèrent, dans l’opinion, de