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L’une des premières mesures était de s’établir aux colonies d’Amérique, à la Louisiane, à Saint-Domingue, dans la Guyane accrue des territoires portugais. Mais il fallait des vaisseaux, Bonaparte en réclame de l’Espagne. Il en réclame aussi pour contenir les Anglais dans la Méditerranée, les en expulser, s’il le peut. L’Espagne refuse. Pesant leurs charges, considérant leur trésor, vide, leurs colonies, nourricières de la métropole, envahies par la contrebande anglaise, travaillées par la révolte, Charles IV et son peuple aspirent au repos. Ils ont fait, pensent-ils, assez de sacrifices à la République régicide qui ne les a payés qu’en créant le roitelet d’Étrurie. Mais Bonaparte les secoue, poursuivant la terrible partie engagée par le Comité de Salut public, continuée par le Directoire, et qu’il ne gagnera un instant, en 1808, que pour se perdre lui-même. L’Espagne, enchaînée par un gouvernement vénal, contre ses intérêts, sa sécurité, sa dignité même, traînée à la remorque, ballottée par le remous, dans le sillage, cherche à couper les câbles, à dériver vers la côte, pour s’y échouer sur les bas-fonds. Bonaparte parle en maître, exige, menace. « Vous direz, mande-t-il à Talleyrand[1], vous direz à M. Azara, — l’envoyé d’Espagne à, Paris, — que, par les traités, les vaisseaux nous doivent servir ; que je les ferai partir de force ; qu’il s’expose ni plus ni moins à ce que je m’empare de toute la flotte… Il faut que l’escadre soit à la voile avant dix jours. » Et ce sera le ton, jusqu’à ce qu’il n’y ait plus de flotte espagnole, à Trafalgar. Il soupçonne, il accuse Godoy de tripoter sous-main avec les Anglais quelque accord qui permette aux galions de passer, à l’Espagne de désarmer. L’ambassadeur officiel, Lucien, ne s’occupe que de grossir son trésor de pierres précieuses et d’augmenter ses galeries de tableaux. Bonaparte le rappelle et le remplace par un général, Gouvion Saint-Cyr, qui saura parler. « Je désire, écrit-il le 1er décembre à ce général, que vous fassiez connaître à Leurs Majestés mon extrême mécontentement de la conduite injuste et inconséquente du prince de la Paix… Tout ce qu’il a pu faire contre la France, il l’a fait. Si l’on continue dans ce système, dites hardiment à la reine et au prince de la Paix que cela finira par un coup de tonnerre. »

En même temps, l’Italie. L’exposé du 22 novembre a notifié

  1. 30 octobre 1801.