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la grande ruche, un grand silence, qui étouffe le piétinement monotone des galoches sur les pavés.

Point de causeries dans ces files serrées ; à peine quelques mots brefs. On s’en va, le menton bas dans le cache-nez roulé, les mains enfoncées dans les poches, à l’épaule le filet qui contient la marmite de fer-blanc et les deux bouteilles de cidre… On s’en va d’un pas vif, on s’en va à la maison.

— Hé ! C’est vous, Labove ?… Eh bien ! encore une de finie !…

Labove est le « surveillant technique » de l’atelier de la peinture. Surveillant technique ! adjoint technique ! Autrefois on disait tout simplement contremaître, maître entretenu… Mais, diable !… « technique » est bien plus relevé ; « technique » a quelque chose de… de… Ils ne savent pas bien au juste, et c’est ce qui leur fait le plus de plaisir. « Technique ! » Remarquez-vous que depuis que l’on dit tant de mal du grec, tout le monde veut s’en servir ?…

Enfin Labove est le surveillant technique que l’atelier de la pointure nous a envoyé pour vérifier l’état de notre carène. Nous sommes d’ailleurs de vieilles connaissances, car voilà la troisième fois qu’il donne ses soins aux œuvres vives du Fontenoy.

— Mon Dieu ! oui, capitaine, me répond-il, encore une qui ne doit rien à personne, et… en route pour chez nous ! C’est pas trop tôt !…

— Au fait, Labove, dites-moi donc quelles sont les heures où commence et où finit le travail des ouvriers ?

— Voici, capitaine : maintenant que les ouvriers sont censés déjeuner chez eux avant de venir à l’arsenal, ils rentrent le matin entre 7 heures et 7 heures un quart, commencent leur travail vers 7 heures et demie, le terminent à 5 heures et sortent à 5 heures un quart.

— Commencent-ils vraiment à 7 heures et demie ? Nous ne les voyons guère venir à bord qu’à 8 heures.

— Ah ! c’est qu’il faut le temps de prendre les vêtemens de fatigue à l’atelier et puis le temps d’aller de l’atelier au bâtiment. De même, le soir, on part du bord un peu avant l’heure, parce qu’il faut bien se laver, s’habiller, remettre le matériel à l’atelier.

— Bon !… mais le dîner ?

— Le dîner ? voilà : ça ne devrait durer que quarante minutes,