suffisamment résisté. C’est donc un travail long, pénible, malsain, que nous allons recommencer : en plein hiver, dans ce fond de cuve de granit où l’on patauge dans une boue liquide et glacée, où l’on reçoit en douches les suintemens de la carène, où l’on respire des poussières toxiques, il faut du dévouement pour gratter, les bras en l’air, torches allumées, cette énorme, cette écrasante carapace. Inutile de le dire, nos marins, seuls, entreprennent cette tâche rebutante ; les ouvriers du port regardent…
Ah ! nos pauvres hommes, nos braves gens, ces silencieux et résignés ouvriers de la mer, qui dira tous leurs mérites et combien ils devraient être chers à la France, qui les ignore ?…
Du moins, nous faisons tout ce que nous pouvons pour combattre l’intoxication et prévenir les refroidissemens : après chaque séance de grattage, ils vont se laver à grande eau ; chaque jour, huit d’entre eux prennent un bain chaud ; matin et soir, pendant ce travail, il y a distribution de lait ; l’officier en second veille même à ce que ce lait soit chaud et il le fait sucrer quelquefois… quand le « détail » est riche.
27 décembre. — Cet arsenal de Cherbourg, dont je bats matin et soir le raboteux pavé, a dû faire le bonheur des architectes classiques qui ont tant coûté à notre pauvre pays : cales de construction, magasins, bureaux et ateliers ; manutention, boulangerie, hôpital, tout y est grand, imposant, d’une belle ordonnance, d’une solidité à défier les siècles. Pierres de taille et paremens de granit rose ;… enfin, le style et l’appareil « monumental. »
Ce n’est point, certes, que je reste fermé à toute préoccupation d’art, ni que je prétende qu’une construction militaire doive être, de parti pris, du style amorphe. Non, mais ce qui me frappe, c’est la dangereuse vanité de bâtir pour les siècles, quand nul ne sait si dans vingt-cinq ans ces coûteuses bâtisses répondront encore aux besoins nouveaux. Voici, par exemple, les quatre immenses calos qui s’ouvrent sur l’avant-port ; on n’y construit plus que quelques sous-marins, grêles fuseaux qui se perdent sous ces larges et hautes voûtes de cathédrale. Pourquoi cet abandon ? Parce qu’elles sont trop courtes pour les bâtimens modernes, et aussi parce que l’avant-port où elles débouchent est trop petit.
Quant aux bassins de radoub, nous le savons, il a fallu les allonger, et le plus grand, deux fois déjà. Pendant ces travaux,