Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 10.djvu/593

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

fait aller « coûte que coûte, » en la traitant, dit-il, « comme une vieille rosse, à grands coups d’éperons. »

Du sanguin, il a d’autre part les symptômes moraux. La gaîté habituelle d’abord, la bonne humeur un peu fantasque dont la mauvaise fortune ne le prive jamais tout à fait, car, aux heures tragiques, il parle parfois encore de ses revers avec un sourire, et avec de bruyans éclats des « tapes » qu’il donne à l’ennemi : certain jour même, au siège d’Olmutz, voilà qu’il lance des entrechats et donne à Catt une leçon de menuet dans une chambre de paysan ! Il a ensuite la mobilité de caractère, l’impatience, la sensibilité aux impressions passagères, défauts de jeunesse, qui diminuent, l’âge venant ; il a le brillant courage physique, qui fait que, de l’avis de ses officiers, il s’expose toujours trop sur le champ de bataille ; il a l’enthousiasme, l’optimisme foncier de l’homme d’action, qui lui montre au bout de l’épreuve le gain plutôt que le risque, et qui fait dire à l’un de ses familiers que chez lui la confiance annonce toujours quelque revers et la crainte quelque succès. Il a surtout l’extraordinaire vivacité, l’exubérance de parole et d’action, les emportemens et les accès de violence qui remplissent son entourage de terreur et dont souffrent ceux mêmes de ses ministres ou de ses généraux qu’il aime le plus, comme Podewils, qui deux fois est accusé de forfaiture, ou comme le vieux maréchal de Schwerin, qui deux fois est menacé de la peine capitale. Dans sa correspondance, les mots sautés et les lapsus abondent presque autant que les gros mots, et, dans les brèves « marginales » qu’il appose chaque matin sur les rapports qui lui sont soumis, on trouve une foule d’expressions dont l’âpreté singulière eût fait frémir de joie le vieux Frédéric-Guillaume : O asinus asinorum, « vous êtes fou, » « un tel est un imbécile, » « que le diable l’emporte, » « si vous raisonnez, je vous casse. » Le vieil Eichel, qui le connaît bien et l’aime plus encore, dit un jour de lui, paternellement : « Quand on est bon, on l’est à l’excellence, mais gare la vivacité quand elle nous prend ! » Et Frédéric lui-même déclare une fois à Catt, pendant la guerre de Sept ans, qu’au reçu d’une nouvelle, bonne ou mauvaise, « tout le sang lui monte à la tête, son front brûle comme s’il avait la fièvre chaude, » il est « comme dans la braise ! »

Agir est un besoin pour un tempérament pareil, vouloir est une fonction instinctive et irrésistible. L’action représente ici bien moins une volonté qu’un consentement ou une satisfaction ;