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Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 10.djvu/604

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N’est-ce pas enfin son tour, et le tour de la Prusse, d’humilier ces cours orgueilleuses dont l’insolence jadis l’a fait souffrir ? Peu lui importe ici la loi des convenances, la signification sociale ou morale de ses actes et de ses paroles. Volontiers, lorsqu’il prétend avoir assisté la France ou l’Angleterre, il écrit à George II : « Je compte que vous n’oublierez pas le service que je vous rends, » et au cardinal de Fleury : « J’espère que je n’obligerai pas un ingrat. » Prétextes ou excuses, il ne lui déplaît pas, quand il en faut donner, de les donner médiocres, ou pires, pour bien marquer son dédain des mots, des formules et de la « charlatanerie » diplomatique. Faut-il gagner les gens ? Il les flatte sans scrupule. Pitt est « un vrai Romain ; » Fleury, le « Mentor de la France, » l’ « Atlas de l’Europe, » et l’on fait « des vœux pour la conservation de ces jours auxquels tient le destin de l’Europe et de presque tout le monde habité. » Il semble qu’il s’amuse cordialement à rédiger ces « déclarations galantes, » — souvent aussi railleuses au fond que « galantes » en la forme, — et plus encore, parfois, à troquer brusquement le « miel » de l’adulation pour le gros sel de la menace ou de l’impertinence.

Quant à lui, cela ne l’empêche pas de faire le susceptible en affaires, de se montrer irritable et soupçonneux dans les négociations, de voir partout des menaces à son indépendance et de prétendre sans cesse qu’on lui manque, en accusant tous ses alliés, les uns après les autres, de vouloir faire de lui leur valet, alors qu’au su et au vu de tout le monde, c’est lui qui sait toujours tirer tout le profit de ses alliances. Que le calcul ait ici sa part, cela va de soi ; mais il y a surtout l’instinct de la revanche à prendre sur l’Europe et sur le passé. Voudrait-on le traiter toujours « comme le despote de Valachie à l’égard de la Porte ? » Non, ces temps-là ne sont plus, et il faut que nul n’en ignore. Alors, quand on s’y attend le moins, le voilà qui se fâche et monte sur ses grands chevaux, se fait insolent et hautain, raille et blesse tout le monde, et fait à propos d’une bagatelle « un carillon de tous les diables, » pour l’intime satisfaction de faire sentir la griffe après avoir montré la patte de velours. En 1755, deux mois après cette fameuse convention de Westminster qu’il s’efforce de justifier tant bien que mal à Versailles, il fait parler au ministère de France sur ce ton gouailleur : « J’ai toujours cru que les alliances étaient fondées sur l’intérêt réciproque des