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l’harmonie, elles pussent pénétrer plus doucement le cœur de celui qui écoute[1]. »

Nous avons ici l’idée première et comme l’ébauche de ce que fut, cinq ans après la mort de saint Philippe de Néri, la Rappresentazione di anima e di corpo.

Emilio del Cavalière, intendant de la musique du grand-duc de Toscane, avait été l’un des familiers de la Camerata de Bardi, l’un des créateurs, avec les Péri, les Corsi, les Caccini, de l’opéra récitatif ou florentin. On cite de lui dans ce genre quelques essais profanes. Trois pastorales : il Satiro, la Disperazione di Fileno, il Giuoco della Cieca, précédèrent l’œuvre sacrée qui devait être l’offrande et comme la consécration à Dieu du style nouveau.

Elle a pour sujet le mystère fondamental et le drame par excellence, le mieux fait pour nous intéresser et nous émouvoir, puisque c’est celui de notre nature et de notre destinée. Anima e corpo ; ces deux mots qui, rapprochés ou plutôt opposés, nous disent tout de nous-mêmes, le poète les a délayés en trois actes que gâte trop souvent l’abus de l’allégorie et de l’abstraction.

Un de nos confrères, à qui rien de la musique de ce temps-là n’est étranger, M. Romain Rolland, a publié quelques morceaux de la Rappresentazione. L’un est un quatuor vocal et semble un dernier hommage à cette polyphonie des voix que l’on commençait alors d’abandonner. Une autre page est la plainte vraiment tragique du corps, incertain entre l’âme et les sens. La beauté de ce chant est la beauté sobre, pour ne pas dire pauvre, commune aux œuvres monodiques de ce temps ; elle tient beaucoup moins à la grâce ou à la force de la mélodie, laquelle ne faisait alors que de naître, qu’à la justesse de l’accent et de la déclamation.

Le défaut capital de l’œuvre, et M. Rolland a raison d’y insister, c’est l’abstraction. « Les personnages sont : le Temps, le Corps, l’Ame, la Raison (Intelletto), la Réflexion (Consiglio), le Plaisir avec deux compagnons, le Monde et la Vie mondaine, l’ange gardien, les anges du ciel, les âmes damnées en enfer, les âmes bienheureuses du paradis et le chœur.

La Rappresentazione a trois actes. Il n’y a guère de lien dramatique, ou seulement logique entre les scènes. Dans leur ensemble, on peut dire que le premier acte représente les

  1. Cité par le cardinal Capecelatro.