Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 10.djvu/613

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dressent sur la route où passe la Vie humaine, soutenue par l’Entendement[1]. » Quant à la musique, elle est très loin d’égaler celle de Cavalière. Elle ne consiste qu’en « d’interminables mélopées, sans énergie d’accent, sans vérité d’expression, qui alourdissent le poème déjà trop long de Clément IX[2]. »

Ainsi déviait le génie romain. Carissimi paraît alors et le remet sur la voie : une voie véritablement royale, tant elle a de largeur et de majesté. Comme Palestrina jadis était venu des montagnes de Sabine pour réformer la musique d’église, Caris-sima descend des monts Albains, et la musique sacrée est sauvée. En retirant le drame religieux du théâtre, il le purifie de tout alliage matériel. Par la substitution des personnages réels aux vagues entités et des sentimens aux sentences, il le dégage de l’allégorie et de l’abstraction. En deux mots il accroît également dans l’oratorio la part de l’idéal et celle de l’humanité.


II

Giacomo Carissimi naquit en 1606 à Marino et mourut à Rome en 1674. Il était « de haute stature, maigre, enclin à la mélancolie » et ces traits de sa personne physique et morale ne s’accordent pas mal avec l’élévation et l’austère sobriété de son art. Nous savons peu de chose de sa vie. D’abord maître de chapelle de la cathédrale d’Assise, il revint à Rome en 1630 pour exercer les mêmes fonctions au Collège germanique de Saint-Apollinaire. Il les conserva jusqu’à sa mort. Le Collège germanique avait été fondé en 1552 par saint Ignace de Loyola pour préparer les jeunes Allemands à la prêtrise. La discipline y était sévère et les moindres détails de la règle y témoignaient d’un esprit rigoureux. Un liséré couleur de sang bordait la robe noire des séminaristes, comme le signe et le gage de leur vocation non seulement au sacerdoce, mais, s’il le fallait, au martyre. Les spectacles ou divertissemens profanes, dont la passion et presque la folie avait gagné même les couvens ou les églises de Rome, étaient bannis de l’austère maison. Mais à la musique du moins les Jésuites firent d’abord une place d’honneur. Les offices de Saint-Apollinaire ne tardèrent pas à devenir célèbres et des maîtres tels que le grand Vittoria formèrent les premiers élèves

  1. M. Romain Rolland, loc. cit.
  2. Id.,ibid.