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Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 10.djvu/619

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l’est pas moins de vérité sentimentale et dramatique. L’énergie de l’accent n’y a d’égale que l’expression ou l’explosion de la vie et de l’humanité.

Dans l’Histoire d’Ézéchias, dans Jephté surtout, la vie encore se défend et se débat contre la mort. La déploration finale de la jeune fille est un crescendo continu d’épouvante et de désespoir. Résignée d’abord, puis défaillante et bientôt exaltée, la vierge biblique en appelle à toute la nature. Elle veut que les rochers et les forêts gémissent, que les sources et les fleuves pleurent avec elle et sur elle. A chacune de ses apostrophes, sa voix s’élève, s’anime et s’indigne davantage. Mouvement, sonorité, tout redouble et s’exaspère. Une sorte d’émulation farouche s’empare des notes comme des mots et les emporte ensemble jusqu’au sommet d’où, brusquement, en un trait qui siffle et déchire, la voix retombe enfin, épuisée et comme morte.

Cela sans doute est encore du récitatif. Mais, en même temps, c’est déjà de la mélodie. Mélodie encore verbale et récitatif déjà chantant. On voit persister ici la noblesse et la vérité de la déclamation, l’ample et libre métrique du style oratoire. On s’aperçoit aussi que le mélisme ou la mélopée commence à se fixer, à se partager, si ce n’est en strophes, du moins en périodes, et celles-ci, diverses de lignes, se ressemblent par la durée et par la conclusion. Chaque invocation de la fille de Jephté finit par le même éclat ou le même sursaut de douleur. Une certaine régularité, qui n’est pas la rigueur, s’établit ou plutôt s’annonce ; de vagues correspondances s’ébauchent entre des formes similaires et la musique semble d’elle-même appeler, pour s’y soumettre, la grande loi, qui régira la mélodie classique, de la répétition et du retour.

Ainsi la beauté morale, ou l’éthos, de l’art carissimien est avant tout dramatique. Et sa beauté spécifique est faite de quelques souvenirs de l’ancienne polyphonie, du récitatif à sa perfection et de la mélodie à sa naissance.


III

Nous allons trouver dans l’œuvre de Schütz, avec des élémens analogues, un sentiment nouveau.

Le premier des grands maîtres allemands qu’on peut appeler modernes, Heinrich Schütz, ou Sagittarius, ainsi qu’il signait