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Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 10.djvu/625

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Seigneur), que, cent ans plus tard, au contraire, dans une cantate pour le jour de la Pentecôte, un air fameux de Bach rappellera. Mais Bach lui-même n’aura pas plus de force et de carrure ; il aura peut-être (en cette page) moins d’onction. Le cantique de Schütz est composé de versets entre lesquels le mot : Alléluia ! revient sans cesse. Régulière sans doute, la division n’a rien de rigoureux, car les strophes ne sont pareilles que de mouvement et de durée, non de mélodie. Et puis et surtout l’Alléluia pénètre le chant tout entier d’une intime douceur. Rythmé à trois temps, tandis que le reste du morceau lest à quatre, ce changement répété produit un effet délicieux de rémission et de détente ; il suffit de cette légère inflexion pour sauver la ligne générale de la monotonie et de la raideur.

Enfin une figure domine l’œuvre de Schütz comme elle dominera celle de Bach, au lieu que, chez Carissimi de même que chez Hændel, elle ne fait qu’apparaître : c’est la figure de Jésus. Des quatre maîtres que nous étudions en ce moment, deux sont les musiciens de la Bible ; les deux autres, ceux de l’Evangile. O süsser, o freundlicher, o gütiger Jesu Christe ! Ainsi commence un cantique spirituel de Schütz. Les trois invocations montent par degrés chromatiques : elles sont notées en valeurs lentes, comme pour laisser à l’âme le temps de se recueillir et de méditer, avec un amour croissant, chacun de ces noms si doux. Nous sommes ici devant les premiers chefs-d’œuvre du lyrisme sacré ; devant les naïves et pures esquisses de ces cantates de Bach où la musique, un jour, elle aussi, trouvera ses Méditations sur l’Evangile et ses Élévations sur les mystères.

Cette prière est écrite pour une voix seule. Une autre, à trois voix (deux ténors et basse), est plus belle encore, ou belle autrement : non seulement par l’onction, mais aussi par l’éloquence et l’énergie. « Que l’âme du Christ me sauve ! Que le corps du Christ me nourrisse ! Que le sang du Christ m’abreuve ! Que l’eau qui coula de son côté me lave ! Que sa Passion et sa mort me fortifient ! » Si quelques-uns de ces vœux s’expriment humblement et tout bas, d’autres sont proférés avec une sorte de hardiesse. Il arrive que telle cadence donne aux trois voix, toutes masculines, et qui se répondent, un accent non seulement assuré, mais pour ainsi dire impérieux. On trouve ici comme un pressentiment non plus de Bach, mais de Beethoven lui-même ; du Beethoven qui, dans la Messe en (voyez le Kyrie