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en avoir vu l’origine et le progrès, d’en suivre et d’en montrer quelques-unes des conséquences.


II

Ou plutôt, et pour le moment, il me suffira d’en indiquer la plus générale de toutes, celle dont on pourrait dire qu’elle résume ou qu’elle enveloppe les autres, et qui ne tend à rien de moins qu’à la « dénaturation » ou à la négation même de l’idée de morale. Dire en effet de la « question morale » qu’elle n’est qu’une « question sociale, » ce n’est pas seulement, comme on le croirait d’abord, subordonner, et, par conséquent, sacrifier la première à la seconde, aussi souvent qu’il semblera qu’un conflit menace de s’élever entre elles, mais c’est dire, à proprement parler, que la question sociale importe uniquement, et que la question morale n’existe pas. Un mémorable exemple en est le chapitre, autrefois fameux, où Helvétius a entrepris l’apologie de la prostitution : « Si l’on examine politiquement la conduite des femmes galantes, — y dit-il assez crûment, — on verra que, blâmables à de certains égards, elles sont à d’autres fort utiles au public, et qu’elles font, par exemple, de leurs richesses un usage communément plus avantageux à l’Etat que les femmes les plus sages. » Diderot, lui, comme toujours, va plus loin, et son imagination luxurieuse ne répugne pas à l’idée de la communauté des femmes, s’il en doit résulter, comme il l’espère, « un accroissement de population. » Otez d’ailleurs ces préoccupations de polissonnerie qui sont, comme on le sait, l’un des caractères essentiels de la littérature du XVIIIe siècle, et peut-être, j’en ai peur, une des causes de sa popularité : il s’agit, dans le premier cas, de la question du « Luxe, » et dans le second de celle de la « Population, » questions « sociales » s’il en fut, questions « morales » en morue temps ; et vous voyez comment on les résout quand, au lieu de subordonner le « social » au « moral, » c’est, au contraire, le « social » qu’on essaie de transformer en « moral. »

Mais je n’insiste pas sur ces contradictions, ou ces oppositions. Elles sont nombreuses, et comment ne le seraient-elles pas, puisque, tous les jours, nous en voyons s’élever de nouvelles entre nos devoirs mêmes ? A plus forte raison entre le social et le moral. Mais, les unes et les autres, il faudrait d’abord prouver que ce sont bien des oppositions, et c’est ce que n’ont fait ni les