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France sur le continent, au relèvement de son industrie et de son commerce. D’où le refus persistant que Bonaparte opposait à tous les arrangemens qui ouvriraient aux produits anglais le marché français et celui des républiques alliées. Les Anglais réclamaient un traité de commerce parce qu’ils le jugeaient propre à enrichir l’Angleterre et que c’était pour eux l’objet même de la paix ; Bonaparte le refusait parce qu’il le jugeait de nature à appauvrir la France, à suspendre, arrêter sa renaissance industrielle. Le traité de 1786 demeurait un des ouvrages les plus impopulaires de l’ancien régime, dénoncé comme aussi néfaste que l’ « infâme. » En matière de crédit et de commerce, les vues de Bonaparte étaient tout empiriques. Pour le crédit, l’argent dans les caves, l’encaisse métallique, les contributions de guerre ; pour l’industrie et le commerce, le système protecteur, la prohibition. Il s’en tenait aux exemples des maîtres en prospérité d’État : Richelieu, Colbert, le grand Frédéric. Il ne faut point, même en notre siècle, le prendre de trop haut avec ces illustres praticiens : ni la démocratie, très réaliste, des États-Unis, ni l’empire, très intellectuel, d’Allemagne n’ont procédé autrement, de nos jours.

Ni le décret de vendémiaire an II (10 octobre 1793), œuvre de la Convention, ni la loi de brumaire an V (16 novembre 1796), ni celle de pluviôse an V (février 1797), véritable code de prohibition des marchandises anglaises, n’étaient abrogés, et il n’entra pas dans l’esprit de Bonaparte de les rapporter ; la seule politesse qu’il fit aux Anglais fut d’enlever à ces mesures leur apparence de mesures de guerre contre les seuls Anglais : une loi du 19 mai 1802 donna au gouvernement la faculté de hausser provisoirement ou baisser les tarifs des douanes, d’ouvrir ou de fermer les entrepôts, prohiber ou autoriser l’importation ou l’exportation de toute espèce de marchandises. Le 20 mai, le traité d’Amiens, ainsi enveloppé et muni de ses « articles organiques, » fut promulgué en France. Le 18 juin, le général Decaen fut nommé capitaine général des possessions françaises dans les Indes ; l’ancien conventionnel Cavaignac fut envoyé, le 20 juin, en mission près de l’iman de Mascate. La guerre est finie, avaient déclaré les Consuls, « mais d’autres succès doivent marquer l’existence des nations et surtout l’existence de la République. Partout l’industrie s’éveille, partout le commerce et les arts tendent à s’unir pour effacer les malheurs de la guerre…