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son frère, devait exercer sur la direction de l’école une action mieux marquée et laisser une trace plus profonde. Son originalité, cependant, avait été assez lente à se dégager, et les œuvres de sa jeunesse ont été plus d’une fois confondues avec celles de Mantegna. Il semble aussi qu’à l’exemple de ce dernier il ait à ce moment cherché à établir une correspondance plus ou moins étroite entre le caractère des scènes qu’il représente et le paysage qui leur sert de cadre. Dans le Christ au jardin des olives, de la National Gallery, le décor pittoresque ajoute une puissance singulière à l’impression de ce sujet pathétique. L’artiste, il est vrai, ne s’est aucunement préoccupé de localiser l’épisode qu’il avait à traiter. A la place de la Montagne et des Oliviers dont il est parlé dans les Livres Saints, c’est une plaine sans végétation, parsemée de rochers aux cassures anguleuses, traversée par un cours d’eau et par des routes en zigzag, qu’il met sous nos yeux. Mais l’impression de tristesse qui se dégage de cette contrée abrupte est renforcée ici par un de ces effets crépusculaires que jusqu’alors les peintres de l’Italie n’avaient pas osé aborder. Dans le ciel empourpré par le couchant, quelques nuages légers reçoivent encore les derniers rayons du soleil et avec les ombres épaisses qui envahissent déjà la campagne, la figure du Christ abîmé dans sa prière, non loin des apôtres endormis, paraît encore plus touchante dans ce grand abandon des hommes et ce silence de la nuit qui va tomber. Plus tard, le paysage prendra dans les œuvres de Bellini une place de plus en plus importante ; l’artiste copiera la nature avec une fidélité plus scrupuleuse, mais elle ne montrera plus aucun accord avec le caractère de ses compositions. C’est ainsi que derrière la Transfiguration, du musée de Naples, se déroule un paysage tranquille, absolument étranger à la scène : des coteaux avec des maisons, des fabriques ; un homme qui conduit des vaches en pâture, sous un ciel bleu pâle, semé de nuages blancs ou gris, très délicatement modelés dans une pâte abondante. Si par leur tonalité moyenne et l’ampleur avec laquelle ils sont traités, les fonds de l’admirable Vierge avec l’Enfant Jésus du musée de Brera (1510) rehaussent singulièrement l’éclat des carnations de l’Enfant et du costume de la Vierge, il faut bien reconnaître cependant que ce paysage paisible, probablement emprunté aux premières ondulations de la plaine qui s’étend au pied des montagnes du Frioul, n’ajoute rien à la signification d’un pareil sujet. Du moins, il ne le