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églises et des palais non seulement de sa ville natale, et de la Vénétie tout entière, mais en Allemagne, à Wurtzbourg et jusqu’à Madrid où il est allé mourir (27 mars 1770). En même temps d’ailleurs, et comme pour achever le cycle complet de ses transformations, l’école vénitienne, avant de disparaître, allait produire avec Canale et Guardi des paysagistes purs, presque les seuls qu’ait vus naître l’Italie, pour nous donner de Venise elle-même un portrait aussi accompli que fidèle. Aux interprétations plus ou moins libres de ses devanciers, Antonio Canale (1697-1768) substituait, en effet, des images le plus souvent exactes de tout point, et combinées du moins, lorsqu’il en modifie l’arrangement, avec des élémens toujours réels. Après ses poètes et ses chantres inspirés, Venise trouvait en lui son portraitiste. C’est elle-même qui nous apparaît dans ses œuvres nombreuses, répandues à travers les musées de l’Europe, avec l’infinie variété de ses aspects. Entre tous on reconnaît les tableaux de cet habile artiste, ses architectures si solidement établies, sa couleur si pleine, l’honnêteté impeccable de sa facture, la finesse de son œil et la sûre précision de sa main. Dans la foule de ses toiles, deux surtout nous semblent caractériser son talent et offrir comme un résumé de ses meilleures qualités. La Vue du Grand Canal (musée du Louvre) nous montre, sous la franche et tranquille lumière d’une belle journée la magnifique perspective des palais de Venise. Jusqu’au fond de l’horizon dans cette atmosphère limpide, les formes restent fermes, nettement indiquées, sans dureté comme sans mollesse. Avec une justesse merveilleuse, les détails vont s’atténuant ; les ombres et les lumières décroissant d’intensité tendent à se rapprocher de plus en plus, mais demeurent cependant distinctes, sans aucun de ces contrastes factices, ni de ces repoussoirs commodes auxquels d’habitude les peintres ont recours en pareil cas. Une autre Vue de Venise (National Gallery) nous paraît supérieure encore par la franchise de l’effet, le charme et l’harmonieux éclat des colorations. Il ne s’agit plus cette fois d’un de ces motifs d’apparat qui frappent l’étranger et lui offrent dans un vaste panorama quelqu’un des aspects réputés de cette ville étrange. Nous avons, au contraire, sous les yeux un coin un peu à l’écart et d’une intimité charmante, un vrai tableau d’artiste et peint probablement des fenêtres mêmes de son atelier par Antonio Canale, dans les terrains de la Scuola della Carità