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faudrait sensible au charme d’Alphonse Daudet ; Huysmans l’intéresse. Pour Maupassant, il exprime de l’enthousiasme, avec de grandes réserves quant au choix des sujets ; l’obsession de la femme empoisonne à son gré notre littérature contemporaine.

En parlant de la critique, il définit son rôle tel qu’il le conçoit : désigner d’un pays à l’autre ce qu’il y a de meilleur, laisser tomber le reste, redresser les erreurs de l’opinion, les inexactitudes de toute sorte, éveiller autant que possible la sympathie, mais surtout faire appel à la justice ! C’est la grande qualité de M. Brunetière, pour lequel il professe la plus chaleureuse estime. Il est toujours frappé, dit-il, de la lucidité de cet esprit si ferme et si droit, il l’aime pour avoir proclamé la banqueroute de la science. A plusieurs reprises il insiste là-dessus avec l’ardeur qu’il met à défendre ses opinions préférées. La banqueroute de la science ! Quelle trouvaille ! Comme c’est bien dit et bien prouvé !

Parmi nos romanciers, il n’a jamais goûté beaucoup George Sand, ce qui étonne, vu sa passion pour Rousseau, dont elle est certainement la fille et l’héritière. Il prononce avec l’accent d’un affectueux souvenir le nom d’Octave Feuillet. La Terre qui meurt est, parmi les romans de ces derniers temps, celui qui l’a particulièrement frappé ; il y trouve tant de choses qui peuvent s’appliquer à la Russie aussi bien qu’à la France ! Tolstoï fait grand cas de M. Edouard Rod ; il s’anime en signalant la haute portée du Sens de la vie. Nous causons des frères Margueritte ; il leur sait gré d’avoir enveloppé de tristesse leurs peintures de la guerre, dont il ne faut jamais parler, dit-il, de façon à la défendre ou seulement à l’excuser. Pour M. Paul Bourget, sa sympathie est vive ; peut-être diminuera-t-elle un peu après lecture de l’Etape. Remarquons, par parenthèse, qu’il n’a jamais autorisé la création d’aucune Union Tolstoï, d’aucune société réunie sous son nom, et il ne veut même pas être interrogé sur sa doctrine, n’admettant qu’une doctrine éternelle, universelle, vraie pour lui et pour tous, exprimée clairement dans les Evangiles. « Dès que l’homme l’a comprise, il n’a plus besoin d’autre guide. Le sens principal de la doctrine chrétienne est d’établir la communion directe entre Dieu et l’homme[1]. »

Son grand favori dans la fiction est Dickens, il est facile de

  1. Lire la lettre à des Anglais qui lui avaient soumis le projet d’un cercle dénommé Société Tolstoïenne. (Lettres traduites par J.-W. Bienstock, Paris, 1902.)