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Suffrages qui se sont portés sur des candidats radicaux socialistes 4 250 000
Suffrages qui se sont portés sur des candidats modérés 4 170 000
Différence en faveur des radicaux-socialistes 80 000

Or à la suite des divers scrutins qui se sont succédé à la Chambre pendant six semaines, on doit admettre qu’elle compte 329 radicaux et 246 modérés, soit une majorité radicale de 83 voix. Un simple rapprochement de chiffres montre que la majorité parlementaire est hors de proportion avec la majorité électorale. Elle devrait être de 8 à 10 voix au plus, au lieu de 83, et nous avons le droit de dire que la Chambre ne représente pas l’ensemble des votans[1].

  1. Notre chiffre de 80 000 n’est pas en contradiction avec celui de M. Goblet qui, dans un récent article de la Revue politique et parlementaire, évalue à 200 000 l’écart des voix radicales et modérées, dans le scrutin de ballottage. M. Goblet est le premier à constater que le deuxième tour a été bien plus favorable aux candidats radicaux que le premier, et d’ailleurs son calcul laisse de côté environ les 2/3 des circonscriptions qui à elles seules avaient envoyé plus de 200 modérés à la Chambre.
    Ajoutons encore un mot. Dans un travail comme celui-ci, nous ne pouvons faire état que des chiffres officiels produits lors de la vérification des pouvoirs. Ces chiffres officiels sont-ils conformes à la réalité des choses ? Ici nous laissons la parole à un homme qui compte à son actif de nombreuses campagnes électorales, et dont l’avis fait autorité en la matière. M. P. Leroy-Beaulieu, dans un article du journal des Débats du 17 juillet sur les fraudes électorales, s’exprime en ces termes : « Ces fraudes s’enracinent dans les départemens d’entre Rhône et Pyrénées, avec la connivence des préfets et sous-préfets, et des commissions de recensement nommées par les préfets, puis elles s’étendent vers le Centre et l’Est. Toute majorité d’un candidat d’opposition qui ne dépasse pas 500 voix est avec la plus grande facilité détruite par ces procédés ; mais quand ils sont appliqués, ce qui arrive, avec une certaine méthode et une certaine crânerie, ils peuvent même faire disparaître une majorité de 1 200 à 1 500 voix. Entre le Rhône et la Garonne, une vingtaine de députés ne doivent leur siège qu’à ces fraudes. » Nous n’avons pas ici à tenir compte de ces faits, mais il en ressort avec évidence que cette infime majorité radicale de 80 000 voix n’existe que sur le papier, et qu’on peut sourire devant cette grave affirmation de quelques hommes politiques : « La France, dans les dernières élections, a nettement marqué son orientation à gauche. »