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dans la nuit attire son attention. » Parfois, comme dans La Mort de Tintagiles, l’auteur, revenant au merveilleux des légendes et des contes de nourrice, personnifie la mort sous les traits d’une sorte d’ogresse qui mange les petits enfans, d’une vieille reine très méchante logée dans la tour en ruines d’un château aux escaliers sans fin, aux portes infrangibles, aux voûtes de sépulcre. Mais ailleurs il a mis en œuvre un fantastique beaucoup plus saisissant parce qu’il s’encadre dans le décor de la vie quotidienne. Dans L’Intruse, par une savante progression d’effets, il arrive à nous rendre sensible la présence de la mort. Une famille est réunie dans une salle voisine de la chambre d’une malade. On attend l’arrivée d’une parente. Le grand-père aveugle, et doué sans doute d’une finesse de l’ouïe toute particulière, perçoit un frôlement lointain. Quelqu’un traverse le parc, fait taire sur son passage la voix des rossignols, s’engage sous les voûtes, gravit l’escalier, pousse la porte. Cette visiteuse que ne parviennent pas à distinguer les yeux de ceux qui voient, et qui maintenant se dresse parmi la famille assemblée, c’est la mort. Dans Intérieur, un contraste d’un raccourci vraiment puissant nous montre le malheur au moment où il vient frapper ceux qui se croyaient à l’abri. Nous découvrons derrière les vibres éclairées d’une chambre une famille qui veille sous la lampe. Nous n’entendons pas une parole ; mais les gestes, les attitudes, toute l’atmosphère est d’intimité confiante et de quiétude. Cependant, au dehors, on rapporte le cadavre de l’une des filles qui vient de se noyer. Les gens du cortège funèbre dialoguent dans l’ombre, retardant le moment d’annoncer la nouvelle douloureuse, jusqu’à ce qu’enfin, le plus âgé étant entré dans la chambre, nous comprenons, aux jeux de physionomie et à la mimique des personnages, ce qui se passe dans ces âmes surprises par le coup inattendu.

Non moins redoutable que la fatalité de la mort est celle de l’amour. Car il frappe instantanément et ne choisit pas ses victimes. Golaud rencontre dans la forêt une petite fille, venue on ne sait d’où, qui pleure auprès de la fontaine on ne sait quel malheur ; il en tombe aussitôt amoureux et l’emmène pour en faire sa femme ; et Mélisande, la première fois que ses yeux rencontrent ceux de Pelléas, lui inspire un amour qu’elle ressent pareillement. Palomides, qui a dans Astolaine la meilleure des femmes, une femme qu’il respecte et qu’il aime, la trahit pour une esclave grecque, Alladine, dont il sait combien elle est loin de valoir celle qu’il fait souffrir pour elle. Ceux qui commettent ces fautes n’en sont pas responsables et on peut les plaindre, mais non pas les condamner. « Je suis très vieux, dit le sage Arkel, et cependant je