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dans ses retables et cartons de tapisseries, autant d’importance à l’action, familière ou dramatique, au mouvement et à la gesticulation des figures dans une scène déterminée, que Jean Van Eyck, le contemplateur et l’analyste, leur en accordait peu. L’influence de ce puissant artiste n’a pas été moindre que celle de son rival dans tous les Pays-Bas, et surtout en Allemagne, où les écoles d’Alsace, par Martin Schœn, et de Nuremberg, par F. de Hirlen, se rattachent à lui de si près. Lorsqu’il partit pour l’Italie, en 1449 (l’année suivante, il suit à Rome les fêtes du jubilé), son talent, sans doute, était déjà mûr. Si le retable de Berlin, dit de Martin V, a vraiment été donné par ce pape, mort en 1431, au roi d’Espagne, Jean II, on aurait là une preuve de son originalité, déjà très vive, avant même l’apparition du chef-d’œuvre de Van Eyck. La date de la grande et fameuse Descente de Croix, au Palais de l’Escurial, serait encore plus importante à établir. Quoi qu’il en soit, nous savons que Roger le Français, Rogerius Gallicus, presqu’aussi admiré que Jean Van Eyck par les Italiens, grand admirateur lui-même des Italiens, surtout de Gentile da Fabriano, laissa des traces de son passage à Gênes, à Florence, chez le roi de Naples, chez le duc de Ferrare. La Mise au tombeau, d’une invention si personnelle, aux Uffizi, la Vierge des Médicis, portant l’écusson du Lys Rouge, au musée de Francfort, le Christ en Croix du musée de Bruxelles, avec les portraits et les armes des Sforza (si on le retire décidément à Memlinc, pour le rendre à son maître), montrent bien quel artiste il était alors. La Pietà, récemment acquise à Gênes, chez les Pallavicini, par le musée de Bruxelles, la seule composition d’une authenticité incontestable, qui représente Roger à Bruges, suffit d’ailleurs à expliquer le succès qu’obtint, de son temps, ce dramaturge concis et vigoureux dans les scènes douloureuses, ce narrateur simple et ingénieux dans les scènes familières. « Il y a beaucoup de sang français chez Roger, » dit Wolltmann. Au retour d’Italie, ce sentiment de l’action vive, joint à celui de l’expression physionomique, se donna plus libre carrière dans le Jugement dernier à l’Hospice de Beaune, l’Adoration des Mages, (musée de Munich), qui devinrent dès lors, comme la Déposition, des modèles toujours copiés et imités, durant plus d’un siècle, pour les compositions similaires. Moins souple et moins aisé que Van Eyck dans le dessin de ses figures, il y apporte, en revanche, plus de variété et plus de mouvement, avec une