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restent des objets de litige, et livrés, sans espoir, aux âpres disputes des hommes. Tant que les archives, fouillées cependant avec tant de passion, n’auront pas clairement parlé, nous ne saurons pas ce qu’a fait ce merveilleux artiste avant 1467, avant l’âge de 37 ans, non plus que nous ne le savons pour Hubert et Jean Van Eyck avant leur maturité. Fit-il son apprentissage à Mayence et à Cologne, comme le pense M. James Weale ? Fut-il l’élève de Roger de la Pasture, comme l’affirment Guicciardini et Vasari ? Fut-il son collaborateur, en 1459, comme le croient MM. Wauters et Kæmmerer ? Serait-ce lui ce « Hayne (Hans, Jehan), jeune peintre de Bruxelles, » qui, dès 1454, travaille à Valenciennes, près d’un autre maître, demeuré célèbre et resté inconnu, Simon Marmion ? Avait-il déjà accompagné Roger en Italie, dans son voyage de 1449-1450, comme plusieurs l’ont supposé ? Demeura-t-il auprès de lui, à Bruxelles, jusqu’à sa mort en 1464 ? Vint-il alors, tout de suite, s’établir à Bruges ? Autant de questions d’un vif intérêt lorsqu’il s’agit d’un tel artiste.

A partir de 1460 environ, nous suivons un peu mieux la carrière de Memlinc. Le triptyque, où s’agenouillent devant la Vierge sir John Donne et sa femme, peints d’après les calculs de M. Weale, entre 1461 et 1469, peut-être en Angleterre, nous enseigne ce qu’il était déjà lorsqu’il s’établit à Bruges. Avec bien des timidités encore, des restes de raideur dans les poses et d’inégalité dans les colorations, c’est déjà tout Memlinc, le Memlinc affable et souriant des conversations mystiques entre personnages sacrés et des concerts angéliques. La Sacra conversazione, c’est-à-dire le rapprochement, dans un groupement plus étroit et un échange de sentimens plus intimes, des saints et des saintes, autrefois dressés en files immobiles, idoles hiératiques, mornes et isolés, dans les niches étroites des polyptyques, ou, sur le panneau central, aux côtés de la Vierge, n’est pas, en effet, une invention de la fin du siècle. Si les libres peintres de l’arte moderna à Venise, Palma, Titien, Lotto, vont bientôt donner à ces rapprochemens un caractère de réunions de plus en plus familières et aimables, d’autres artistes en avaient eu déjà la pensée. La causerie des saints, assis sur un banc de marbre, par Filippo Lippi (National Gallery) et celle des saints et des anges s’entretenant sous la présidence de la Vierge dans le tableau des S. S. Cosme et Damien par Fra Angelico, sont déjà des modèles de conversations sacrées. Van Eyck les avait peut-être devancés