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une distinction intellectuelle, qui ne sont plus la candeur inculte ou mystique du XVe siècle. On a pensé, non sans vraisemblance, que, pour cette Conversation sacrée, et surtout pour celle de Rouen, l’artiste avait pu s’inspirer, au moins pour quelques détails, d’un grand retable placé, de son temps, dans son église paroissiale, et que le musée de Bruxelles a prêté à l’exposition. Le cercle, ici, est plus nombreux ; il n’y a pas moins de douze jeunes saintes, toutes fort bien attitrées, mais toutes gauches, presque laides à plaisir, autour de la Vierge ; celle-ci même est d’une mine assez pauvre. L’insignifiance monotone de ces physionomies sottement béates et de ces longues têtes moutonnières, prêtes à bêler, suffirait à marquer la médiocrité de cet émule insuffisant de Memlinc, malgré toutes ses habiletés de pratique.

Dans le tableau de Rouen, c’est, au contraire, la variété et la vérité des figures qui donnent à la scène son admirable effet de vie et de naturel. Toutes les études antérieures de l’artiste aboutissent à une réalisation, libre et complète, de ses observations et de ses rêves. La Vierge, vêtue de noir, offrant une grappe de raisin à l’enfant en chemisette blanche, est d’une dignité douce, et vraiment noble. A ses côtés, les deux anges debout, aux ailes éployées, jouant de la flûte et de la mandoline, sont d’une gravité et d’une grâce délicieuses. A gauche, sainte Catherine, tenant son missel, s’entretient avec sainte Agnès ; à droite, sainte Godelive paraît lire quelque passage intéressant à sainte Barbe qui, réfléchie et songeuse, laisse tomber sur ses genoux son livre entr’ouvert. Une vraie cour d’amour, d’amour céleste, où l’on discute des subtilités théologiques en écoutant un duo angélique. Six autres saintes auditrices lèvent leurs têtes entre les épaules des vierges d’honneur, formant cénacle. Dans les deux coins, Gérard David et sa femme, Cornélie Cnoop, la miniaturiste, montrent leurs bons visages tranquilles et pieux. Il est évident que toutes les têtes du second plan, au moins, sont des portraits, portraits de famille sans aucun doute, car le tableau fut donné par l’artiste à ses bonnes amies les Carmélites de Sion, qu’il avait déjà obligées de sa bourse. La facture des vêtemens, des mains (variées et charmantes), des visages, est de plus en plus parfaite, mais dans un jeu de colorations tempérées et alternées, avec des souplesses et des ampleurs, une aisance et presque du laisser-aller dans les formes, qui ne sont déjà plus l’art serré, parfois jusqu’à l’étriquement, exact et précis, parfois jusqu’à la sécheresse, des vieux