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On constate avec bonheur qu’après Van Eyck, Memlinc, Gérard David, les peintres brugeois, protégés par leur isolement, plus qu’à Anvers et Bruxelles, contre l’envahissement du sensualisme ultramontain, demeurèrent plus longtemps fidèles aux traditions de piété, de pureté, de simplicité, léguées par le moyen âge. Le maître de la Mater Dolorosa, Jean Prévost (… † 1529), Albert Gornelis, (… † 1532), Lancelot Blondel (149… † 1561), se laisseront lentement gagner par un goût croissant de la décoration architecturale, et quelque tendance à donner plus de place aux nudités dans leurs compositions sacrées ; pour le reste, ils garderont les habitudes discrètes et pieuses du XVe siècle et conserveront, dans leur technique, l’amour ancien des miniaturistes pour les colorations claires et légères. Le Couronnement de la Vierge, par Albert Cornelis, peint en 1520, développe, sur un espace assez restreint, sous les pieds du groupe principal, des rangées concentriques d’anges musiciens, les uns en robes bleuâtres, les autres en dalmatiques sombres, les derniers en robes blanches, comme fera plus tard Tintoret dans son Jugement Dernier ; mais c’est encore, dans les figures envolées de cette vision charmante, la ferveur douce du moyen âge finissant et toute la grâce bienveillante de Memlinc, avec une originalité délicate dans les types renouvelés. Jean Prévost, en 1525, reprend le vieux thème du Jugement dernier, suivant la formule locale, en y imprimant la marque de la Renaissance, mais avec une modération et une pureté qui disparaissent déjà dans les écoles voisines. En haut, toujours, le Christ, en gloire, entre l’épée et la palme ; sous ses pieds, deux angelots, sonnant de la trompette ; à ses côtés, la Vierge, montrant son sein nu, Saint Jean-Baptiste avec l’Agneau, escortés de saints et de saintes. Mouvemens plus dégagés, allures plus souples, style plus facile que dans la génération précédente, mais le sentiment reste le même, et la liberté avec laquelle le naturalisme flamand s’adapte aux besoins nouveaux de beauté plastique se manifeste avec grâce dans les figures nues symbolisant la résurrection. Entre le Christ et les ressuscites, s’étend un panorama de mer assombrie par un ciel d’orage où se retrouve aussi la conscience des ancêtres. Deux autres Jugemens derniers, du même temps, de la même école, varient légèrement la même ordonnance, toujours dans la gamme claire, avec introduction d’élémens empruntés à Lucas de Leyde ou à Jérôme Bosch. Les tableaux