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et de l’Oise en bateau à rames. Si le moyen de transport n’est ni rapide, ni confortable, nul, il faut l’avouer, ne se prête mieux à l’étude du paysage et à l’observation du genre de vie des habitans d’un pays. On peut faire halte où il vous plaît et, confiant son canot à un paysan ou à un éclusier, on va reconnaître les environs. Ce mode de locomotion offre aussi l’avantage d’éviter les grandes routes et d’épargner au voyageur modeste les frais des hôtels somptueux. En cet équipage, les deux amis traversèrent les plaines de la Flandre, sillonnées de canaux ou éclairées, la nuit, par les hauts fourneaux, et, ensuite, le pays vallonné et boisé de la Picardie. Ils eurent beaucoup à se louer de l’hospitalité des fonctionnaires à Maubeuge, à Landrecies et admirèrent la bonne humeur, le contentement de simples bateliers. « Ce que j’aime tant en France, remarque à ce propos notre voyageur[1], c’est cet aveu clair et net, fait par tous, de leur propre chance. Un chacun sait de quel côté sa tartine a du beurre et prend plaisir à le montrer aux autres, ce qui est, pour sûr, la meilleure part de la religion. Ils dédaignent de faire grise mine à la pauvreté, ce qui, à mes yeux, est la plus belle forme de la vaillance. Les Français sont imbus de cet esprit d’indépendance ; peut-être est-ce le résultat des institutions républicaines, ou plutôt cela vient de ce qu’il y a si peu de gens réellement pauvres. »

Un peu plus loin, entre Vadencourt et Origny Sainte-Benoîte, nos touristes s’arrêtent à la fin d’une journée ensoleillée et, ayant amarré leurs canots, ils contemplent le soleil couchant :

« D’un côté de la vallée de l’Oise, tout en haut de la colline crayeuse, un laboureur, avec son attelage, paraissait et s’éclipsait à intervalles réguliers. Chaque fois qu’il reparaissait, il s’arrêtait quelques secondes, en se profilant sur l’azur du ciel. C’était le seul être vivant en vue, à moins que l’on ne comptât la rivière. De l’autre côté, on apercevait entre le feuillage un beffroi entouré de toits rouges. De là, un sonneur de cloches bien inspiré égayait l’après-midi de son carillon. Il y avait je no sais quoi de doux et de captivant dans la mélodie qu’il exécutait et nous n’avions jamais entendu des cloches parler d’une façon aussi intelligible ou tinter aussi mélodieusement que celles-là. Il y a dans le son des cloches quelque chose de métallique et

  1. An inland voyage, p. 192-193.