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laissa la maladie que Stevenson a composé le Wrecker, son livre sur les Mers du Sud et Catriona.

Il s’occupait des indigènes avec une sollicitude éclairée, apprenant leur langue, observant leurs usages, étudiant leurs croyances et leurs légendes, auxquelles il a emprunté le sujet de quelques-uns de ses plus jolis contes : l’Île aux Voix, le Diablotin en bouteille, la Baie de Falesa[1]. Les indigènes l’appelaient du nom de Tusitala, qui signifie le conteur. Bien que les habitans de Samoa, comme ceux de l’archipel de Tahiti, des Paumotous et quelques tribus de Maoris, fassent exception à la loi générale de dépérissement qui entraîne les races polynésiennes vers la mort, le problème du déclin de ces populations, autrefois surabondantes, l’a vivement préoccupé. Après avoir démontré que les causes auxquelles on l’attribue en général : changement de genre de vie, introduction des vices et de maladies nouvelles par les Européens, fumage de l’opium, libertinage, etc sont insuffisantes pour en rendre compte, dans tous les cas il arrive à la conclusion suivante :

« Partout où il y a très peu de changemens, importans ou légers, salutaires ou nuisibles, la race survit. Là, au contraire, où ils ont été nombreux, importans ou non, nuisibles ou non, elle dépérit. Tout changement, si petit qu’il soit, augmente la somme des nouvelles conditions d’existence auxquelles la race est forcée de s’adapter. Il semble, a priori, qu’il n’y a pas de comparaison à établir entre le changement du grog chaud et âpre contre du mauvais genièvre et celui du pagne insulaire contre les pantalons européens. Et pourtant, j’incline à croire que le premier n’est guère plus nuisible que l’autre, et la race, non accoutumée, mourra peut-être de piqûres d’épingle. Nous voilà en présence d’une des grosses difficultés pour les missionnaires.

« Dans la Polynésie, le missionnaire obtient sans peine une autorité prépondérante, il devient comme le « maire du palais » du Roi ; il peut proscrire et commander à son gré, et la tentation est facile d’usurper tout pouvoir. C’est ainsi, d’après les meilleurs témoignages, que les catholiques à Mangareva et les protestans, aux îles Hawaï, ont rendu la vie plus ou moins impossible à leurs prosélytes. Et ces douces créatures, sans se plaindre,

  1. La légende qui fait le sujet de cette nouvelle a été recueillie aux îles Gilbert.