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Ainsi parlait Stevenson les premiers jours d’octobre 1894 : le 3 décembre, il n’était plus. Quoique la pensée de la mort ne le quittât jamais (elle perce dans ses lettres intimes), il la cachait soigneusement à son entourage. Il montra jusqu’au bout la même sérénité, le même entrain dans la conversation, la même ardeur à poursuivre son but. À force d’énergie et de solide piété, il était parvenu, suivant la belle expression de M. Sidney Colvin[1], à réaliser le souhait d’une de ses prières favorites ; « Dieu, y disait-il, donne-nous de nous réveiller le sourire aux lèvres. Fais-nous la grâce de travailler en souriant. De même que le soleil fait rayonner sa lumière sur le monde, ainsi fais que notre bonté aimante illumine de joie notre demeure. »

II

La passion exploratrice, le goût des aventures, voilà le trait d’union entre Stevenson voyageur et Stevenson romancier. Au fond, ce fut sa passion dominante et l’on pourrait dire que, si ses voyages furent des romans en action, la plupart de ses romans sont des aventures idéalisées. Or, que le lecteur français n’y cherche pas les péripéties du drame éternel, produit par les conflits du cœur avec la dure réalité, le devoir ou l’honneur, qui sont le thème ordinaire de nos romanciers. Sauf ses deux ou trois derniers ouvrages, l’amour joue un rôle secondaire dans l’œuvre de Stevenson. Cette exclusion systématique de l’amour, comme pivot de ses romans, ne tiendrait-elle pas à un trait fondamental du caractère de notre auteur, sa répugnance à endosser les idées reçues, à se plier à la tradition, à porter la chaîne des conventions sociales ou littéraires, d’un mot, à son esprit d’indépendance ?

Ses trois principales sources d’inspiration furent l’observation de la nature, celle des mœurs et caractères des Écossais, et l’histoire des procès politiques au temps de la guerre des Stuarts contre le roi George. Stevenson, comme on a déjà pu en juger par les descriptions citées plus haut, aimait passionnément la nature ; — et comment ne pas l’aimer, quand on a été un enfant d’Édimbourg, la ville pittoresque par excellence, dont les environs font alterner les vues des montagnes avec les paysages ma-

  1. The letters of Stevenson, II, Introduction, 285.