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gouvernement s’était trop engagé pour pouvoir reculer. D’un côté les esprits, dans ce coin de Bretagne, étaient étrangement surexcités. Toute une population, blessée dans ses sentimens les plus intimes, était prête à se porter à des actes de désespoir. La moindre étincelle tombant d’une main maladroite aurait mis le feu aux poudres. Il a fallu aux représentans du Finistère beaucoup de présence d’esprit, de sang-froid et de courage moral pour prévenir les catastrophes imminentes. Le poids en serait retombé sans doute sur le gouvernement qui les avait provoquées ; mais nous n’y aurions pas trouvé une consolation. Dans les momens de crise comme celui où nous sommes, la violence appelle la violence, et le premier pas fait dans une voie aussi périlleuse risquait de conduire plus loin que personne ne voulait aller.

On a pourtant reproché leur attitude à M. de Mun, à M. l’abbé Gayraud, à M. Pichon, à M. l’amiral de Cuverville : ce qui montre que ces reproches sont mal fondés, c’est qu’ils ont été contradictoires. Les radicaux-socialistes, les amis du gouvernement, les adversaires des congrégations ont accusé les représentans du Finistère d’avoir encouragé et presque fomenté l’émeute, tandis que les champions des partis royaliste et bonapartiste leur ont fait un grief d’avoir efficacement contribué à y mettre fin. Ils voulaient y mettre fin, en effet, avant qu’elle aboutît à des scènes sanglantes ; mais, pour cela même, ils devaient conserver contact avec les insurgés et rester dans leurs rangs. Au reste, ils pensaient, ils sentaient comme eux, et ne s’en cachaient pas. En leur âme et conscience s’élevait contre la loi, et surtout contre la manière dont elle était exécutée, une protestation aussi indignée que la leur. Mais, hommes politiques, ils ont compris que d’autres devoirs encore s’imposaient à eux. La protestation des paysans bretons avait pris une forme illégale : fallait-il lui laisser prendre une forme révolutionnaire ? Sans même invoquer d’autre motif de ne pas le faire, la comparaison des forces en présence suffisait à le déconseiller. La Bretagne avait suffisamment accentué sa réprobation : c’était par d’autres moyens, des moyens légaux, qu’il fallait désormais la faire triompher. Si la République doit être le règne de la loi, la loi s’impose aux partis comme aux gouvernemens. C’est à elle et aux tribunaux qui l’interprètent et l’appliquent que nous devons tous recourir : et, quand même le gouvernement manquerait à cette obligation, ce ne serait pas un motif pour y manquer à son exemple. L’opinion sera, en fin de compte, notre juge à tous. L’appel qui lui a été adressé aux élections dernières n’a pas été entendu, et de là sont venues les épreuves actuelles ; mais elles auront un terme.