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promptitude le parti radical-socialiste jette bas ses idoles au premier nuage qui passe entre eux. Le général André a tenu bon, et nous lui en ferions compliment si tant d’actes antérieurs n’avaient pas révélé l’étendue de ses complaisances. Pour une fois, il a regimbé : son prestige s’en est ressenti. Non pas sans retour, nous n’en doutons pas ; le général André rentrera sans doute dorénavant en grâce ; mais il saura aussi que, si charbonnier est maître chez lui, un ministre ne l’est pas toujours ; qu’il est tel de ses officiers auquel on tient plus qu’à lui-même ; enfin, qu’à toucher imprudemment à ce bloc d’un nouveau genre, il s’expose à être écrasé sous celui de tout son parti.

Cette leçon peut profiter à d’autres encore, et, par exemple, à M. Combes, à supposer qu’il en ait besoin. Mais cela n’est pas bien sûr. Lorsque M. Combes a été chargé de composer un ministère, il y a eu d’abord quelque étonnement : on s’est demandé par quelles vertus secrètes il avait mérité à ce degré la confiance de M. le président de la République. Après les élections du mois de mai, la situation pouvait passer pour compliquée, ou du moins pour délicate. M. Waldeck-Rousseau s’effaçait et disparaissait dans les brumes du Nord ; il semblait malaisé à remplacer. M. Combes ferait-il l’affaire ? On en a d’abord douté ; mais on n’a pas tardé à s’apercevoir qu’il y avait idiosyncrasie, c’est-à-dire véritable adaptation de caractère entre la majorité et lui. Il ne voulait que ce qu’elle voulait elle-même, ou ce qu’elle voudrait, que ce fût d’ailleurs ceci ou cela, se montrant également prêt à entreprendre telle besogne ou telle autre d’après l’opportunité du moment. Visiblement il écoutait des voix, à la manière d’un inspiré. On lui a dit qu’il avait été appelé au pouvoir pour appliquer la loi sur les associations, et il l’a répété. On lui a dit ensuite de quelle manière il devait s’y prendre, et il s’y est pris de cette sorte. Ce qu’on lui dira par la suite, il l’exécutera de même. Un homme qui présente de pareilles dispositions est très fort ; il a des chances de durer longtemps. Encore à ce point de vue, M. Combes pourrait bien nous ménager des surprises. Lorsqu’il l’a constitué, tout le monde a cru que son ministère ne durerait pas ; depuis, on est revenu de cette impression, qui était trop rapide et superficielle. Il n’y a pas de raison pour que M. Combes ne dure pas aussi longtemps que M. Waldeck-Rousseau, et même davantage. Il fera pour cela tout ce qu’on lui demandera ; comme il a commencé, il continuera, et le bail qu’il a conclu avec la Chambre des députés n’est pas près de se rompre. Si nous nous trompons, ce sera tant mieux, car c’est donner à un parti de bien mauvaises habitudes que de lui inspirer le sentiment qu’il peut tout faire,