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obstiné. Qu’a-t-il voulu d’abord ? Oh ! rien que de très simple, et ce qu’avaient voulu La Bruyère et Boileau ! Il a voulu prouver qu’il y avait « un bon et un mauvais goût : » relisez à cet égard le préambule et les dernières pages de la Philosophie de l’Art. Mais au lieu qu’avant lui la question se posait, pour ainsi dire, sans antécédens, et comme une question de littérature ou de conversation, ce sont les fondemens, lui, qu’il en a prétendu sonder. Il a creusé jusqu’à ce qu’il eût trouvé le roc. Quand il l’a eu touché ou cru toucher, il ne l’a pas trouvé assez solide. Courageusement il s’est remis à l’œuvre, et de nouveaux sondages l’ont conduit plus profondément. Sur ces fondations bien éprouvées et plus résistantes, il a essayé de construire l’édifice qu’il rêvait, mais voici qu’en avançant, si les fondations étaient assez solides pour en porter le poids, elles n’étaient pas assez larges pour en soutenir le développement. Avec une patience admirable, et une ténacité qui suffirait à la gloire de son nom, il méditait encore son plan, et, vous le savez, Messieurs, c’est ici qu’on ne saurait trop regretter que la mort soit venue l’interrompre.


Pendent opera interrupta, minæque
Murorum ingentes


Il ne manque à l’édifice que son couronnement, mais enfin il y manque, et nous serons donc toujours un peu suspects, si nous voulons l’y ajouter, d’exagérer, d’altérer ou de trahir la pensée de l’architecte. Nous ne pouvons pourtant nous dispenser d’en hasarder l’entreprise, et ce sera, Messieurs, la conclusion de ce discours. Si l’œuvre critique de Taine est ce qu’elle est, c’est qu’elle touche, par tous ses côtés, à toutes les questions de l’heure actuelle ; et, quelque idée que je vous en aie donnée, cette idée serait insuffisante si je n’essayais de vous dire quelle est, à ces questions, la réponse que son œuvre apporte. Je ne vous demande plus, en m’en excusant, qu’un moment de patience et d’attention.


III

Vous vous rappelez certainement, dans ces mêmes Origines de la France contemporaine, le mémorable tableau que Taine a tracé, comme en un diptyque, de ces deux conceptions du monde, l’ancienne et la moderne, la chrétienne et la scientifique, dont les traits, si nous l’en voulions, croire, s’opposeraient les uns aux autres, jusqu’à se contredire ; et, depuis tantôt cent cinquante ans, la pensée moderne