et l’un de ceux dont l’ardente curiosité ne s’est ni ralentie, ni lassée de connaître, et tous les jours, pendant quarante ans, d’ajouter quelque chose au trésor de ses connaissances. Le problème qu’il s’est efforcé de résoudre, et dont je pense vous avoir montré combien d’autres il en enveloppait, est, pour cette raison même, l’un des plus ardus auxquels se puisse attaquer l’intelligence humaine. La solution en ferait époque dans l’histoire de l’humanité. Qui trouverait, qui poserait, qui mettrait hors d’atteinte le fondement objectif du jugement critique, c’est à la fois la question de la nature de la connaissance, la question de la réalité du monde, et la question des rapports du « subjectif » et de « l’objectif » qu’il aurait décidées ! L’originalité de Taine est d’avoir cherché dans l’histoire, c’est-à-dire dans l’expérience de l’humanité, la solution que les philosophes n’avaient guère avant lui demandée qu’à la méditation solitaire et abstraite. J’ai tâché de vous dire ce qu’il y avait dépensé de peine, de science et de probité. Et alors, chemin faisant, au cours de cette enquête universelle, tout ce qu’une métaphysique, ou plutôt un verbalisme de cabinet et d’école croyait avoir détruit, tout ce qu’il avait lui-même commencé, sinon par nier, du moins par mettre en doute, sur la parole de Kant, il l’a vu, nous l’avons vu se relever de ses ruines. La critique de la critique a produit cet effet de rendre à l’esprit humain cette confiance en soi dont il a besoin pour penser, comme nous avons besoin d’air pour respirer. La morale a reconquis cette conscience de sa primauté sans laquelle on peut dire que l’histoire ne serait qu’une fantasmagorie, la projection d’un vain rêve sur l’écran de l’espace ou du temps. Et la religion même, à supposer que l’individu puisse exceptionnellement s’en passer, s’est retrouvée le support, le ressort, et le garant de la vie des sociétés humaines. Ce sont là, Messieurs, des résultats que vous penserez qu’il valait la peine de dégager de l’œuvre de Taine, et, quelque embarras que l’on éprouve toujours à se citer soi-même, puisque je parlais, il y a trois mois, à Lyon, de nos « motifs d’espérer, » celui-ci, sans doute, ne vous paraîtra pas l’un des moindres, que, de l’épreuve la plus impartiale à laquelle elle eût encore été soumise, on ait vu la vérité sortir une fois de plus victorieuse.
F. BRUNETIERE.
Le Directeur-Gérant,
F. BRUNETIERE.