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rideaux de soie rouge, on a fait, avec de jeunes bananiers fleuris, une sorte de jardin suspendu. Des franges, des pendeloques géantes, de deux ou trois mètres de long, retombent de tous côtés ; elles sont en fleurs naturelles, en guirlandes d’œillets jaunes ou de soucis, mêlées de fils d’or. Et, à tous les étages de l’édifice roulant, apparaissent des éphèbes nus, qui d’abord étaient restés cachés dans les draperies, dans les baldaquins de soie et les fleurs entrelacées ; ils sont la garde d’honneur du Dieu, et ils commencent à sonner de la trompe là-haut, répondant aux longs beuglemens sinistres que leur envoie l’orchestre d’en bas.

Un ramène les éléphans sacrés, qui s’agenouillent d’eux-mêmes près du char pour recevoir à nouveau leurs belles robes brodées, leurs têtières garnies d’or et de perles. Et puis ils vont, d’un air habitué, prendre place derrière les prêtres, dans le cortège encore immobile, tandis que tous les jeunes hommes se rangent en avant, sur quatre lignes, le long des quatre monstrueux câbles étendus par terre.

La muraille du temple, qui l’orme un des côtés de l’avenue, demeure sombre, désertée, attristante. Mais de l’autre bord, devant les maisonnettes des brahmes, la foule augmente et regarde ; les fenêtres, les vérandas trapues aux lourdes colonnes, les perrons ornés de monstres, sont envahis par les enfans et les vieillards. Surtout, par les femmes aux mousselines lamées d’or, aux colliers de fleurs, aux bijoux miroitans ; quelques-unes viennent apporter des offrandes aux prêtres, ou bien encore, le sablier en main, réparent en hâte des désastres dans les dessins du sol, repiquent çà et là des fleurs jaunes…

Les brumes que la nuit avait condensées sur la plaine se sont évanouies, fondues, en une minute, comme des mirages, comme des riens.

Mais combien le lever du jour tropical, en plein air, est défavorable aux essais de magnificence humaine ! Tout ce qui semblait un peu enchanté, il n’y a qu’un instant, lorsque j’arrivais des terrasses, et que les dernières torches flambaient encore dans l’aube hésitante, ne se soutient plus sous les limpidités virginales de ce ciel du matin. Il n’a rien, ce ciel, que d’être infiniment pur et adorablement vert, d’un vert lumineux et pâle qui n’a point de nom. Mais auprès de lui tout devient misérable et fané. Voici que la muraille du temple étale sa vétusté et des lèpres rougeâtres. On y voit trop ; il faudrait la complicité de la