Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 11.djvu/268

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dans des cadres dorés, de vieilles aquarelles représentent les incarnations de Vichnou ; sur le plancher, un beau tapis indien et des matelas recouverts d’étoiles à ramages. Un peu étonnés de l’aventure de ma visite, ces brahmes, — car les étrangers d’habitude ne font point cela, — mais désireux cependant d’être hospitaliers et courtois, ils m’offrent de visiter la maison. C’est d’abord une cour intérieure, triste entre des murs ; moutons et chèvres s’y reposent à l’ombre, sous un vieux banian rabougri. Ensuite, les toits, qui sont des terrasses habitées par des pigeons et très visitées par les corbeaux ; on y a vue sur le palais des anciens rois de Madura, énorme et somptueux monument du XVIIe siècle, en style indo-arabe ; et, au loin, jusqu’aux palmiers de la campagne, se déploie la ville, avec ses temples, dont les pyramides de dieux, rouges et colossales, montent de tous côtés dans le ciel fourmillant d’oiseaux. On me montre enfin la bibliothèque du logis, pleine de livres philosophiques et religieux qui indiquent une culture intellectuelle très spéciale, mais très avancée, — d’ailleurs en contraste singulier avec la nudité de mes hôtes. Et, avant de partir, il faut retourner dans la salle d’honneur, s’asseoir là un moment, tandis que l’un des jeunes hommes prend une longue mandoline dorée et joue en sourdine des choses très douces. On ne me présentera point les femmes, bien entendu ; ce serait incorrect. Mais, avant que je prenne congé, on m’amène les deux plus jeunes enfans de la maison, deux petites filles de trois à quatre ans, qui viennent très gentiment à moi, sans avoir crainte. Pour tout costume, elles portent une petite plaque en or, ayant forme de cœur, qui est suspendue à une chaînette passée autour des reins et qui descend à peu près où il faut ; et des anneaux ciselés, très lourds, ornent leurs poignets et leurs chevilles. Elles sont deux petites merveilles de beauté, deux petites déesses de perfection et de charme, avec leurs corps en bronze clair, souples et musclés, avec leurs yeux d’ombre, de profondeur et de sourire, sous des cils invraisemblables, cerclés de peinture noire.


VI. — BALAMONI, LA BONNE BAYADÈRE

Il est à Madura une bayadère, célèbre par sa charité autant que par sa grâce. Ainsi que l’usage le commande aux filles de sa caste, elle fut d’abord la favorite d’un nabab, qui en mourant la