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une haine exagérée, les années n’eurent pas sans doute trop de peine à le ramener au juste milieu.

Un trait nous montre exactement jusqu’où il poussait, dans le détail, sa doctrine sur le néant de l’intelligence, et combien elle était ancrée dans son esprit. Un ancien élève, W. Alington, était mort aux colonies d’une fièvre contractée en soignant les malades. « C’est mon héros, » disait Thring, entendant signifier par là qu’une telle mort était plus glorieuse pour Uppingham que les plus beaux prix d’Oxford. On fit une souscription pour perpétuer de quelque manière le souvenir de cette mort. L’argent réuni, plusieurs proposaient de fonder une bourse, sorte de mémorial très usitée en Angleterre. Mais une bourse se décroche au concours et les concours sont affaire d’intelligence. La mémoire du saint ne serait-elle pas souillée si on la mêlait à de telles compétitions ? Laissons Thring nous dire lui-même les combats qu’il dut livrer autour de la tombe de son héros.


2 Décembre. — Gervase Alington m’écrit qu’on lance l’idée de fonder une bourse en l’honneur de son frère et que cette idée ne lui plaît pas. Je lui réponds que moi aussi je déteste ce genre de souvenirs. La fièvre et le bourdonnement de vie cérébrale qu’exigent les concours sont incompatibles avec le respect dû au mort. Rien de terrestre comme ces luttes d’intelligence, cette rude et simple façon de choisir les vainqueurs.


De telles pages nous montrent au vrai le genre d’influence que Thring exerçait autour de lui. Ce n’est pas là, comme on le voit, une méthode que l’on puisse monnayer en petites formules et en détails de règlement. Aucun livre de pédagogie, — et je n’exclus pas les livres de Thring lui-même, — n’apprendra à un éducateur le moyen d’exercer une pareille influence et de créer autour de lui une telle atmosphère de ferveur et de noblesse. L’action personnelle de l’homme est tout ou presque tout dans de pareils résultats, la séduction austère et généreuse de la parole et de l’exemple, l’incommunicable puissance des convaincus et des saints.

Cependant cet esprit très positif n’admettait pas qu’on pût s’en rapporter uniquement à l’initiative des maîtres et à la bonne volonté des élèves pour le fonctionnement régulier d’une maison. « L’organisation (machinery), l’organisation, écrit-il dans son journal avec sa lourde insistance, voilà la devise d’une bonne école. Il faut laisser aussi peu que possible à la valeur personnelle