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Et maintenant, j’affirme sans hésiter que mon œuvre à moi a réussi parce que Dieu m’a donné un esprit de sagesse qui m’a fait m’occuper de franges, de bleu, de pourpre, de rubans, d’écarlate, de rouge de Pompéi, de gravures, de classes, de la couleur des rideaux dans les chambres des élèves et de cent minuties de ce genre. Et c’est là, là surtout que je prétends avoir fait mes preuves de grand éducateur : c’est-à-dire en entourant les enfans d’objets nobles et dignes d’eux, en empêchant le désordre et la négligence, en proscrivant l’habitude de graver son nom sur les tables, — symbole de révolte, d’inattention, de malice et de vanité, — de couvrir les murs de taches d’encre, — symbole de malpropreté insouciante et de mépris pour le grand travail de la pensée, — et toutes les autres petites vilenies qui dépriment l’âme de l’enfant. Lente méthode, mais très sûre, modeste, mais pratique, elle exige beaucoup de patience, mais peu à peu elle fait œuvre de vie.


Thring voulait aussi qu’en dehors des salles communes, chaque enfant eût un petit chez soi, chambre à coucher et cabinet de travail. Il y voyait, pour les bons élèves, l’avantage de pouvoir se retirer de la foule et se ressaisir. D’autres menues réformes, sur lesquelles il serait trop long d’insister, paraient à d’autres dangers ou tendaient à offrir d’autres facilités à la bonne volonté des élèves. Rien, à ma connaissance, dans cette œuvre scolaire n’est dû à la manie de réglementer et il n’est pas jusqu’aux précautions de nécessaire surveillance qui ne prennent, dans la vie d’Uppingham, une apparence moins provocante. De 7 à 9heures du soir, par exemple, maîtres et élèves sont ensemble.


Pour l’élève et l’observateur inattentif, ce n’est là qu’une classe comme une autre. Pour moi, dit Thring, l’important est que, pendant ces deux heures » les plus dangereuses de la journée, l’enfant soit sous l’œil du maître. Une organisation qui a tout prévu, tout soupçonné permet seule de montrer aux enfans une entière confiance.


Car l’ambition de Thring est que son école soit plus digne de confiance que toutes celles du royaume. L’horreur du mensonge est, comme on sait, à la base de l’éducation anglaise, et depuis Arnold surtout, on a obtenu sur ce point des résultats merveilleux, mais nulle part cette leçon capitale ne fut, je crois, mieux inculquée qu’à Uppingham, ni mieux comprise. Ecoutez plutôt l’apostrophe véhémente qui foudroyait un jour quelques élèves coupables d’avoir voulu tromper leur professeur :


On vient de m’apprendre une chose dégoûtante. Deux d’entre vous ont triché dans leur travail. Je tiens pour ma part que tromper un professeur est d’une indicible bassesse. Appelez cela, vous autres, comme vous voudrez. Moi, je l’appelle un mensonge, ni plus ni moins, un méprisable mensonge et