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En résume, toutes ces forces diverses et ces rythmes divers qui s’entre-croisent, toutes ces vibrations diverses qui se confondent comme les forces, les rythmes et les. vibrations de la mer, sont les élémens qui donnent au monde sa grandeur, sa beauté, sa sonorité profonde. C’est ce que pensait Aristote quand, repoussant l’unité absolue de l’Etat rêvée par Platon, il écrivait que l’on ne fait pas un accord avec un seul son, et que l’harmonie résulte de la combinaison de tons variés[1]. C’est ce que pensait aussi Montesquieu, disant que « la vraie union dans un corps politique est une union d’harmonie qui fait que toutes les parties, quelque opposées qu’elles nous paraissent, concourent au bien général de la société, comme des dissonnances dans la musique concourent à l’accord total[2]. »

Une théorie dogmatique comme celle de Platon ou de Karl Marx, qui, au contraire, cherche l’harmonie dans la suppression des dissonnances, l’équilibre dans la suppression du mouvement aboutit à une sorte d’unité mécanique[3] qui n’a plus rien de commun avec la vie et la réalité.


III. — LA TENDANCE COLLECTIVISTE ET LES RAPPORTS DE L’INDIVIDU AVEC L’ETAT

Le socialisme collectiviste, qui se trouve arrêté sur sa route par une différenciation individuelle et une complexité sociale progressives, a-t-il au moins sa justification dans la nécessité d’une réaction de l’Etat contre l’individu ?

L’histoire sociale du XIXe siècle est l’histoire de l’antagonisme entre l’individu et l’Etat et d’une opposition irréductible entre les deux termes. Tandis qu’avec Benjamin Constant, Fourrier ou Proudhon, Spencer, J.-B. Say, Macaulay ou Jules Simon, toute puissance accordée à l’Etat entrave la liberté et la destinée de l’individu ; au contraire, des penseurs tels que Carlyle, Louis Blanc, Comte, Marx, Lassalle considèrent l’épanouissement de l’individu comme un obstacle au règne de la justice sociale. L’antithèse est complète ; les uns aboutissent à la tyrannie de l’Etat, les autres à son abstention. Et, comme le dit Henry Michel,

  1. Aristote, Politique. Trarl. Barthélémy Saint-Hilaire, II, ch. n, § 9. — Pohlman, Geschichte des antiken Communismus. Munich, 1893, II, 582.
  2. Montesquieu, Grandeur et Décadence des Romains. Hachette, 1856, II, p. 42
  3. Pohlman, Ouv. cité, I, p. 582.