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aux autres les observations qu’il avait faites pour son compte. Cet homme singulier, qui s’était fait le défenseur acharné du passé, était en réalité un novateur et, par moment, devançait l’avenir. On pourrait presque dire que ce paysan avait un tempérament d’homme de lettres et de journaliste. Rien ne lui plaisait comme de s’adresser au public, et de même qu’il lui avait fait confidence de son hygiène et de sa médecine, il lui fit connaître aussi sa rhétorique. De ce petit livre, le premier qui ait été composé en latin sur ce sujet, il ne nous reste que deux phrases, mais, selon le mot d’un commentateur, ce sont deux phrases divines. La première est la célèbre définition de l’orateur que toute l’antiquité a répétée, vir bonus dicendi peritus ; l’autre n’est pas moins belle ni moins profonde, et elle a inspiré Boileau et Fénelon : « Concevez bien votre sujet, dit-il, les paroles suivront, rem tene, verba sequentur. »

Vers le même temps, comme les rapports devenaient plus étroits entre Rome et la Grèce, les Romains commencèrent à connaître la rhétorique et les rhéteurs grecs. Il est probable que ce sont les Gracques qui les ont introduits à Rome : comme ils s’adressaient aux passions populaires, ils devaient être à l’affût de tout ce qui pouvait donner plus de puissance à l’éloquence. Tiberius avait été élevé par Diophane de Mitylène, et on reprochait à Caïus d’avoir recours au talent et aux conseils de Ménélas de Marathus et de quelques autres. Tant que les rhéteurs grecs se tinrent dans la maison des grands seigneurs, il n’y avait guère moyen de les y poursuivre. Mais quand ils voulurent s’établir dans la ville et y ouvrir des écoles, on le leur défendit. Une première fois, ils furent brutalement expulsés en compagnie des philosophes. Soixante-dix ans plus tard, un édit un peu moins rigoureux fut promulgué par les censeurs, Licinius Crassus et Domitius Ahenobarbus, deux très importans personnages, pour les empêcher d’enseigner la rhétorique en latin. Mais toutes ces résistances furent vaines. Rien ne rebutait ces « petits Grecs » qui revenaient sans bruit et plus nombreux, après qu’on les avait mis à la porte. On n’eut jamais raison de leur souplesse et de leur ténacité. C’est justement de cet édit des censeurs que date le triomphe définitif de la rhétorique. Jusqu’à l’époque de Sylla, les maîtres étaient tous des affranchis et des étrangers, « en sorte, dit un auteur, qu’il semblait honteux d’enseigner ce qu’il était honorable d’apprendre. » À ce moment, un Romain, un chevalier,