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complice, va chercher son fils, lui ordonne de tuer les deux coupables, et, comme le fils hésite, il le chasse et le déshérite pour ne lui avoir pas obéi. Mais c’est le divorce qui fournit la matière la plus abondante aux écoles de déclamation. Aujourd’hui nous en tirons surtout des comédies amusantes, les Romains le prenaient du côté tragique. N’est-ce pas une preuve qu’ils en souffraient encore plus que nous ? Ils supposent presque toujours que le père a des enfans du premier lit, la femme nouvelle (noverca) ne peut pas les souffrir, et elle en est détestée. Avec elle, la guerre pénètre dans la maison. Désormais, entre l’odieuse noverca, le père qui la soutient, et le fils qui l’attaque, il se passe des drames horribles. Ils n’ont tous que la pensée de se débarrasser les uns des autres ; le fils poignarde, la noverca empoisonne, le père meurt, sans qu’on puisse savoir si c’est son fils ou si c’est sa femme qui l’a assassiné[1].

Est-ce là un tableau fidèle de la société de ce temps ? On en a douté, et assurément les déclamateurs, avec leurs habitudes d’exagération et leur goût naturel de mélodrame, sont bien capables de l’avoir poussé au noir ; mais ils n’ont pas tout inventé ; la facilité du divorce avait décomposé la famille romaine. Le plaidoyer de Cicéron pour Cluentius nous montre que la noverca des rhéteurs n’était pas un personnage de fantaisie et qu’on ne faisait pas trop de façons dans le monde pour se débarrasser par le poison d’un parent qui gênait. Il y est question d’un certain Oppianicus, qui avait été déjà marié quatre fois quand il épousa Sassia. Celle-ci à la vérité n’en était qu’à son troisième mari, mais l’un d’eux était son propre gendre qu’elle avait enlevé à sa fille. Cet Oppianicus, disait-on, avait tué deux de ses enfans, une de ses femmes, son frère, sa belle-sœur, qui était enceinte et sa belle-mère. A propos de cette dernière, Cicéron nous dit que, comme Oppianicus tenait régulièrement ses comptes, on trouva notée sur son registre la somme de 400 sesterces (80 francs) que lui avait coûté le poison qui l’en délivra. Il mentionnait qu’il l’avait acheté à un pharmacien d’Ancône, qui courait les foires pour débiter ses denrées. Sous Auguste,

  1. Je n’ai pas besoin de faire remarquer ce qu’il y avait de grave à faire vivre des jeunes gens de quinze ans dans un pareil monde et au milieu de tous ces crimes. Ajoutons qu’en dehors de ces causes horribles, il y avait ce qu’on appelle aujourd’hui au barreau des causes grasses. Telle est la controverse qui porte pour titre : sacerdos prostituta.